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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/268

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il ferait de sa richesse ! Ah ! si M. de Mora vivait, avec quel plaisir, avec quel transport il aurait satisfait mon cœur ! Oui, c’est avec des larmes de sang qu’il faut pleurer un tel ami ; en l’adorant, c’était rendre hommage à la vertu. Mais, adieu, mon ami. Vous ne pouvez pas être au ton de mon âme : vous me jugez et je sens. Vous venez d’être distrait et engourdi par la dissipation, et moi je viens d’être enivrée par la passion : mes forces en sont épuisées, et je ne sais où j’ai trouvé celle de griffonner aussi longuement. Adieu.

Si vous n’avez pas changé d’avis, j’irai vous prendre demain, à cinq heures, chez M. d’Argental ; mais surtout, mon ami, point de complaisance, point de sacrifice : je ne le mérite pas, et vous le savez bien.



LETTRE CI

Dix heures, 1775.

Je disais comme Mahomet : L’… seul me console, il est ma récompense ; et pour vous citer à vous-même, je vous dirai, si mon ami m’afflige, il essuiera mes larmes.

Vous voilà donc avec la fièvre ! cela m’afflige. — On vient de me dire qu’on vous a vu chez un peintre en émail, et que vous étiez frappant de ressemblance. Cette jeune personne mérite bien le sacrifice que vous lui avez fait du temps qu’il a fallu pour vous peindre en émail ; mais votre vie sera à elle, il est généreux d’en avancer le moment.