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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/430

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par l’envie et le besoin de répandre plus d’agréments dans votre vie journalière.

Si vous plaisez généralement à tout le monde, vous plaisez surtout aux gens aimables : et vous leur plaisez par l’effet qu’ils font sur vous, par l’espèce de jouissance qu’éprouve leur amour-propre en voyant à quel point vous sentez leurs agréments comme s’ils n’étaient que pour vous, et vous doublez pour ainsi dire le plaisir qu’ils ont de se trouver aimables.

La finesse de goût qui se joint en vous au désir continuel de plaire, fait d’un côté qu’il n’y a jamais rien en vous de recherché, et que de l’autre il n’y a jamais rien de négligé ; aussi peut-on dire de vous que vous êtes très naturelle et nullement simple.

Discrète, prudente et réservée, vous possédez l’art de vous contraindre sans effort, et de cacher vos sentiments sans les dissimuler. Vraie et franche avec ceux que vous estimez, l’expérience vous a rendue défiante avec tout le reste ; mais cette disposition, qui est un vice quand on commence à vivre, est une qualité précieuse pour peu qu’on ait vécu.

Cependant cette attention, cette circonspection dans la société, qui vous sont ordinaires, n’empêchent pas que vous ne soyez quelquefois inconsidérée ; il vous est arrivé, à la vérité bien rarement, de laisser échapper, en présence de certaines personnes, des discours qui vous ont beaucoup nui auprès d’elles : c’est que vous êtes franche par nature, et discrète seulement par réflexion ; et que la nature s’échappe quelquefois malgré nos efforts.

Les différents contrastes qu’offre votre caractère, de naturel sans simplicité, de réserve et d’imprudence, contrastes qui viennent en vous du combat de l’art et de la nature, ne sont pas les seuls qui existent dans votre manière d’être, et toujours par la même cause. Vous êtes à la fois gaie et mélancolique, mais gaie par votre nature, et mélancolique encore par réflexion : vos accès de mélancolie sont l’effet des différents malheurs que vous avez éprouvés ; votre dis-