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LI

la mort, dont l’approche ne put altérer l’humeur joyeuse de Cervantes ni troubler le calme et la sérénité de son âme. Le 17 avril, il était encore entre la crainte et l’espérance. Le 18 son état devint plus grave, et il reçut l’extrême-onction. Le lendemain il dictait son admirable lettre au comte de Lémos, dernier et sublime hommage de reconnaissance à celui dont la sollicitude l’avait sauvé de l’extrême misère :

À don Pedro Fernandez de Castro,
comte de Lémos.

« Cette ancienne romance, qui fut célèbre dans son temps, et qui commence par ces mots : Le pied dans l’étrier, me revient en mémoire, hélas ! trop naturellement en écrivant cette lettre : car je puis la commencer à peu près dans les mêmes termes. — Le pied dans l’étrier, en agonie mortelle, seigneur, je t’écris ce billet. — Hier on me donna l’extrême-onction, et aujourd’hui je vous écris ces lignes. Le temps est court : l’angoisse s’accroît, l’espérance diminue, et avec tout cela je vis, parce que je veux vivre assez de temps pour baiser les pieds de V. E., et peut-être que la joie de la revoir en bonne santé de retour en Espagne me rendrait la vie. Mais s’il est décrété que je doive mourir, que la volonté du ciel s’accomplisse : au moins V. E. connaîtra mes vœux ; qu’elle sache qu’elle perd en moi un serviteur dévoué, qui aurait voulu lui prouver son attachement, même au delà de la mort. Sur quoi je prie Dieu de conserver V. E., ainsi qu’il le peut[1]. »

Son agonie fut longue ; mais l’esprit resta ferme. Cervantes fit ses dernières dispositions

  1. Traduction de M. Furne, t. I, p. xxi–ii.