Page:Lewis - Le Moine, Tome 1, trad Wailly, 1840.djvu/119

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quittant la cabane avec Stéphano, il alla mettre ses chevaux dans l’écurie du bûcheron ; Baptiste les suivit jusqu’à la porte, et regardait dehors avec inquiétude.

« Il fait un vent âpre et cuisant, » dit-il ; « je ne comprends pas ce qui peut retenir mes garçons si tard ! Monsieur, je vous montrerai deux des plus beaux gars qui aient jamais chaussé soulier de cuir. L’aîné a vingt-trois ans, le second est d’un an plus jeune. À cinquante milles de Strasbourg, il n’y a pas leurs pareils pour la raison, le courage et l’activité. Je les voudrais de retour ; je commence à être inquiet d’eux. »

« Marguerite, pendant ce temps-là, était occupée à mettre la nappe.

« Êtes-vous inquiète aussi ? » lui dis-je.

« Moi, non, » répondit-elle d’un air revêche. « Ce ne sont pas mes fils. »

« Allons, allons, Marguerite ! » dit le mari, « ne te fâche pas contre monsieur ; sa question est toute simple ; si tu n’avais pas l’air de si méchante humeur, il ne t’aurait jamais crue assez vieille pour avoir un fils de vingt-trois ans ; mais vois comme ton mauvais caractère te vieillit ! Excusez l’impolitesse de ma femme, monsieur ; un rien la met hors d’elle, et elle est un peu piquée que vous lui dormiez plus de trente ans. C’est la vérité, n’est-ce pas, Marguerite ? Vous savez, monsieur, que les femmes sont chatouilleuses sur l’article de l’âge. Allons allons, Marguerite ! déridons-nous un peu ; si tu n’as pas d’enfants aussi âgés, tu en auras dans quelque vingt ans d’ici, et j’espère que nous vivrons assez pour les voir tout pareils à Jacques et à Robert. »

« Marguerite joignit les mains avec emportement.

« Dieu m’en préserve ! » dit-elle, « Dieu m’en préserve ! Si je le croyais, je les étranglerais de mes propres mains. »