Page:Lewis - Le Moine, Tome 1, trad Wailly, 1840.djvu/141

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« Messieurs, » dit-elle après un instant de silence, « j’ai une faveur à vous demander. Vous avez le droit de savoir à qui vous rendez service : je ne veux donc pas me refuser à une confession qui me couvre de honte ; mais permettez-moi de l’abréger autant que possible.

« Je suis née à Strasbourg de parents respectables ; leur nom, je dois le taire en ce moment. Mon père vit encore, et ne mérite pas d’être enveloppé dans mon déshonneur. Si vous faites droit à ma requête, vous apprendrez le nom de ma famille. Un misérable s’est rendu maître de mon affection, et pour le suivre j’ai quitté la maison de mon père. Mais bien que mes passions l’aient emporté sur ma vertu, je ne me suis pas dégradée jusqu’à la corruption, qui est le lot trop ordinaire des femmes entraînées à un premier faux pas. J’aimais mon séducteur, je l’aimais tendrement ! je lui fus fidèle ; cet enfant, et celui qui vous a averti, seigneur baron, du danger de votre femme, sont les gages de notre affection. Même en ce moment je pleure sa perte, quoique ce soit à lui que je doive tous les malheurs de mon existence.

« Il était de noble naissance, mais il avait dissipé son patrimoine. Ses parents le regardaient comme une honte pour leur nom, et l’avaient tout à fait repoussé. Ses excès attirèrent sur lui l’indignation de la police : il fut obligé de fuir de Strasbourg, et il ne vit d’autre ressource contre la mendicité que de s’unir aux bandits qui infestaient la forêt voisine, et dont la troupe était principalement composée de jeunes gens de famille placés dans la même catégorie que lui. J’étais déterminée à ne pas l’abandonner. Je le suivis à la caverne des brigands, et partageai avec lui la misère inséparable d’une vie de pillage. Mais, quoique je susse que notre existence ne se soutenait que