Page:Lewis - Le Moine, Tome 1, trad Wailly, 1840.djvu/152

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ner dans une démarche dont j’aurais ensuite à rougir. Je suis jeune et sans appui ; mon frère, le seul ami que j’aie, est séparé de moi, et mes autres parents me traitent en ennemie. Prenez pitié de mon abandon. Au lieu de me pousser à une action qui me couvrirait de honte, tâchez plutôt de gagner l’affection de ceux dont je dépends. Le baron vous estime ; ma tante, dure, hautaine et dédaigneuse pour les autres, se souvient que vous l’avez sauvée des mains de ses assassins, et pour vous seule elle est affable et douce. Essayez donc votre influence sur mes tuteurs. S’ils consentent à notre union, ma main est à vous. D’après ce que vous me dites de mon frère, je ne puis douter que vous n’obteniez son approbation, et lorsqu’ils verront l’impossibilité d’exécuter leur projet, j’espère que mes parents excuseront ma désobéissance, et accompliront par quelque autre sacrifice le vœu fatal de ma mère. »

« Dès les premiers instants où j’avais vu Agnès, je m’étais étudié à me concilier la faveur de sa famille. Autorisé par l’aveu de sa tendresse, je redoublai d’efforts. Ma principale batterie fut dirigée contre la baronne ; il était aisé de remarquer que sa parole faisait la loi dans le château ; son mari avait pour elle la plus entière déférence, et la considérait comme un être supérieur. Elle avait environ quarante ans ; elle avait été une beauté dans sa jeunesse, mais ses nombreux attraits étaient de ceux qui soutiennent mal le choc des ans ; pourtant elle en conservait encore certaines traces. Son jugement était solide et sain, lorsqu’il n’était point obscurci par les préjugés, cas malheureusement fort rare. Ses passions étaient violentes, rien ne lui coûtait pour les satisfaire, et elle poursuivait d’une vengeance éternelle ceux qui s’opposaient à ses désirs. L’amie la plus chaude, l’ennemie