Page:Lewis - Le Moine, Tome 1, trad Wailly, 1840.djvu/174

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obéit ponctuellement à mes instructions : l’équipage arriva à l’instant marqué. À mesure qu’approchait l’heure de l’enlèvement de sa maîtresse, la rage de Cunégonde augmentait. Je crois vraiment que le dépit et la colère l’auraient tuée si je n’avais pas découvert, par bonheur, le faible qu’elle avait pour l’eau-de-vie de cerises. Je lui fis donner en abondance de sa liqueur favorite, et, comme Théodore restait toujours à la garder, le bâillon lui fut retiré de temps en temps. Cette boisson avait merveilleusement la vertu d’adoucir l’acrimonie de son humeur, et comme sa détention lui interdisait tout autre amusement, de passe-temps.

« Le 5 mai arriva : jamais je n’oublierai cette date ! Avant que l’horloge sonnât minuit, je me rendis au lieu de l’action ; Théodore me suivait à cheval. Je cachai la voiture dans une vaste caverne de la montagne, au sommet de laquelle était situé le château. Cette caverne est d’une profondeur considérable, et elle est connue parmi les paysans sous le nom de Trou de Lindenberg. La nuit était calme et belle ; les rayons de la lune tombaient sur les vieilles tours du château, et répandaient sur leurs créneaux une lueur argentée. Tout était tranquille autour de moi : on n’entendait que la brise nocturne qui soupirait à travers les feuilles, l’aboiement lointain des chiens du village, ou le hibou qui avait fait son nid dans une cavité de la tourelle déserte de l’est. J’écoutai ses cris mélancoliques, et je le regardai. Il était perché sur le haut d’une fenêtre, que je reconnus pour celle de la salle hantée par le fantôme. L’histoire de la nonne sanglante me revint à la mémoire, et je soupirai en songeant à l’influence de la superstition et à la faiblesse de la raison humaine. Soudain j’entendis des