Page:Lewis - Le Moine, Tome 1, trad Wailly, 1840.djvu/222

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Le marquis rendit le papier avec un sourire d’encouragement.

« Votre petit poème me plaît beaucoup, » dit-il ; « cependant, ne comptez pour rien mon opinion. Je ne me connais pas en vers ; pour ma part, je n’en ai pas fait plus de six dans ma vie, et ils produisirent un si mauvais effet que je suis bien résolu à n’en jamais composer d’autres. Mais je m’écarte de mon sujet. J’allais vous dire que vous ne pouvez pas employer votre temps plus mal qu’à faire des vers. Un auteur, qu’il soit bon ou mauvais, ou entre les deux, est un animal que chacun a le droit d’attaquer ; car si tout le monde n’est pas capable d’écrire des livres, tout le monde se croit capable de les juger. Un mauvais ouvrage porte avec lui sa punition, — le mépris et le ridicule ; un bon excite l’envie, et vaut à son auteur mille mortifications. Il se voit assailli de critiques partiales et malveillantes : l’un censure le plan, l’autre le style, un troisième le but moral qu’il s’est proposé ; et ceux qui n’ont rien trouvé à reprocher au livre s’occupent à flétrir l’auteur. Ils épluchent et tirent de l’obscurité chaque petite circonstance qui peut jeter du ridicule sur son caractère et sur sa vie privée, et visent à blesser l’homme, ne pouvant nuire à l’écrivain. Bref, entrer dans la lice des littérateurs, c’est vous exposer volontairement aux traits de la négligence, du ridicule, de l’envie et du désappointement. Que vous écriviez bien ou mal, soyez sûr que vous n’échapperez pas au blâme ; c’est là même la principale consolation d’un jeune auteur : il se souvient que Lopé de Véga et Caldéron ont eu d’envieux et d’injustes critiques, et sa modestie en conclut qu’il est absolument dans la même catégorie. Mais je sais bien que toutes ces sage observations sont perdues pour vous. La manie littéraire est une infirmité qu’aucun raisonnement n’est capable de