Page:Lewis - Le Moine, Tome 1, trad Wailly, 1840.djvu/225

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sensations bien différentes. Elle blâma sa sœur d’avoir eu l’imprudence de confier son histoire à un inconnu, et exprima la crainte que cette démarche inconsidérée n’indisposât le marquis contre elle ; mais la plus vive de ses appréhensions restait cachée dans son sein. Elle avait observé avec inquiétude que sa fille était devenue toute rouge au nom de Lorenzo. La timide Antonia n’avait pas osé le prononcer ; sans savoir pourquoi, elle s’était sentie embarrassée quand il avait été question de lui, et elle avait essayé d’amener la conversation sur Ambrosio. Elvire remarqua les émotions de ce jeune cœur : en conséquence, elle insista pour que Léonella manquât de parole aux cavaliers. Un soupir échappé à Antonia lorsqu’elle entendit cette défense confirma la prudente mère dans sa résolution.

Mais cette résolution, Léonella était déterminée à ne la point suivre : elle la jugeait dictée par l’envie et par la crainte qu’avait sa sœur de la voir s’élever au-dessus d’elle. Sans en rien dire à personne, elle fit en sorte d’envoyer à Lorenzo le billet suivant, qui lui fut remis à son réveil.

« Sans doute, señor don Lorenzo, vous m’avez fréquemment accusée d’ingratitude et d’oubli ; mais, sur ma parole de vierge, je vous jure qu’il n’a pas été en mon pouvoir de m’acquitter hier de ma promesse. Je ne sais en quels termes vous instruire de l’étrange accueil fait par ma sœur à l’aimable désir que vous avez de lui rendre visite. C’est une femme bizarre, qui a beaucoup de bonnes qualités ; mais elle est jalouse de moi, ce qui lui met souvent en tête les idées les plus inconcevables. Lorsqu’elle a su que votre ami avait eu quelques attentions pour moi, elle a soudain pris l’alarme : elle a blâmé ma conduite, et m’a absolument défendu de vous faire con-