Page:Lewis - Le Moine, Tome 1, trad Wailly, 1840.djvu/227

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reux pour Antonia. Elle résolut de le traiter avec une froide politesse, de refuser ses services, tout en le remerciant de ses offres, et de lui faire sentir, sans l’offenser, que ses visites à l’avenir seraient loin d’être agréables.

À son entrée il trouva Elvire, qui était indisposée, couchée sur un sofa ; Antonia était assise devant son métier à broder, et Léonella, en habit de bergère, tenait la Diane de Montémayor. Quoique Elvire fût mère d’Antonia, Lorenzo s’attendait à trouver en elle la digne sœur de Léonella, et la fille « du plus honnête et du plus laborieux cordonnier qui fût à Cordoue. » Un seul coup d’œil suffit pour le détromper. Il vit une femme dont les traits, quoique altérés par le temps et par le chagrin, conservaient encore les traces d’une beauté remarquable ; une dignité sérieuse régnait sur sa physionomie, mais elle était tempérée par une grâce et un charme qui la rendaient vraiment enchanteresse. Lorenzo pensa qu’elle avait dû dans sa jeunesse ressembler à sa fille, et il excusa volontiers l’imprudence du défunt comte de Las Cisternas. Elle l’invita à s’asseoir, et reprit elle-même sa place sur le sofa.

Antonia le reçut avec une simple révérence, et continua son ouvrage ; ses joues étaient pourpres, et elle essayait de cacher son émotion en se penchant sur son métier. Sa tante aussi voulut jouer la pudeur : elle affecta de rougir et de trembler, et elle attendit, les yeux baissés, le compliment de don Christoval ; mais, au bout de quelque temps, ne le voyant point approcher, elle risqua un regard dans la chambre, et fut mortifiée d’apercevoir que Médina était seul. L’impatience ne lui permit pas d’attendre l’explication de cette absence, et, interrompant Lorenzo qui s’acquittait du message de don Raymond, elle lui demanda ce qu’était devenu son ami.