Page:Lewis - Le Moine, Tome 1, trad Wailly, 1840.djvu/63

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pensez à moi, pensez à votre cruauté ! pensez à Agnès, et désespérez du pardon ! »

Ces derniers mots avaient épuisé ses forces, et elle tomba sans connaissance dans les bras d’une nonne qui était à côté d’elle. On l’emporta immédiatement hors de la chapelle, et ses compagnes la suivirent.

Ambrosio n’avait pas écouté ces reproches sans émotion. Une secrète angoisse au cœur l’avertissait qu’il avait traité cette infortunée avec trop de dureté. Il retint donc la supérieure, et se hasarda à prononcer quelques paroles en faveur de la coupable.

« La violence de son désespoir, » dit-il, « prouve qu’au moins le vice ne lui est pas familier. Peut-être en la traitant avec un peu moins de sévérité, et en mitigeant jusqu’à un certain point la punition ordinaire — »

« La mitiger, mon père ! » interrompit la dame abbesse : « ne croyez pas que je le fasse. Les lois de notre ordre sont strictes et sévères ; elles sont tombées depuis longtemps en désuétude ; mais le crime d’Agnès me démontre la nécessité de les faire revivre. Je vais signifier mes intentions au couvent, et Agnès sera la première à éprouver la rigueur de ces lois, qui seront exécutées au pied de la lettre. Adieu, mon père ! »

À ces mots, elle sortit rapidement de la chapelle.

« J’ai fait mon devoir, » se dit Ambrosio.

Toutefois il ne se sentit pas entièrement rassuré par cette réflexion. Pour dissiper les idées pénibles que cette scène avait éveillées en lui, au sortir de la chapelle, il descendit dans le jardin du couvent. Il n’y en avait pas dans tout Madrid de plus beau ni de mieux tenu : il était dessiné avec un goût exquis ; les fleurs les plus rares l’ornaient en profusion, et, quoique artistement disposées, elles semblaient plantées des mains de la nature.