Page:Lewis - Le Moine, Tome 1, trad Wailly, 1840.djvu/94

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à exciter en lui le désir, lui cacherais-je mes traits avec tant de soin ? ces traits, dont chaque jour je l’entends — »

Elle s’arrêta, et se perdit dans ses réflexions.

« Hier encore je lui étais chère, » continua-t-elle ; « mais peu d’heures ont suffi pour tout changer ; il m’estimait, et mon cœur était satisfait : maintenant, oh ! maintenant, quel changement cruel dans ma situation ! il me regarde d’un œil de soupçon : il m’ordonne de le quitter, de le quitter pour jamais ! Oh ! vous, mon saint, mon idole ! vous qui tenez dans mon cœur la première place après Dieu, encore deux jours, et ce cœur vous sera dévoilé. Si vous pouviez savoir ce que j’ai ressenti quand j’ai vu votre agonie ! si vous pouviez savoir combien vos souffrances ont accru encore ma tendresse pour vous ! mais le temps viendra où vous serez convaincu de la pureté et du désintéressement de ma passion. Alors vous aurez pitié de moi, et vous supporterez tout entier le poids de ces chagrins. »

À ces mots, des sanglots étouffèrent sa voix ; elle était penchée sur Ambrosio ; une de ses larmes lui tomba sur la joue.

« Ah ! j’ai troublé son repos ! » s’écria-t-elle ; et elle recula promptement.

Son alarme n’était point fondée. Nul ne dort si profondément que celui qui est déterminé à ne pas s’éveiller. Le prieur resta en apparence enseveli dans ce repos que chaque nouvelle minute le rendait plus incapable de goûter. La chaleur brûlante de cette larme s’était communiquée à son cœur.

« Quelle affection ! quelle pureté ! » se dit-il intérieurement. « Ah ! si mon sein est si accessible à la pitié, que serait-il donc agité par l’amour ! »

Mathilde quitta de nouveau son siège, et se retira à quelque distance du lit. Ambrosio se hasarda à ouvrir