Page:Lewis - Le Moine, Tome 2, trad Wailly, 1840.djvu/180

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rait avec violence le bras d’Antonia, et frappait la terre dans le délire de la rage.

Lui croyant le cerveau dérangé, Antonia épouvantée tomba à genoux ; elle leva les mains vers lui, et sa voix expira presque sans pouvoir rendre un son.

« Grâce ! grâce ! » murmura-t-elle avec peine.

« Silence ! » cria le prieur éperdu, et il la jeta à terre.

Il la quitta, et parcourut le caveau d’un air sauvage et égaré. Ses yeux roulaient d’une manière effrayante ; Antonia tremblait lorsqu’elle les rencontrait ; il paraissait méditer quelque chose d’horrible, et elle perdit tout espoir de sortir vivante de ces tombeaux : pourtant cette idée était injuste. Au milieu de l’horreur et du dégoût auxquels son âme était en proie, la pitié pour sa victime tenait encore une place ; la fougue de sa passion une fois calmée, il aurait donné des mondes, s’il en avait eu, pour lui rendre l’innocence dont sa concupiscence l’avait privée ; des désirs qui l’avaient poussé au crime, pas une trace ne restait dans son sein ; tout l’or de l’Inde ne l’aurait pas décidé à essayer de la posséder encore ; tout son être semblait se révolter à cette idée, et il aurait bien voulu effacer de sa mémoire la scène qui venait de se passer. À mesure que diminuait sa sombre fureur, sa compassion pour Antonia augmentait ; il s’arrêta, et aurait voulu lui adresser quelques consolations ; mais il ne sut d’où les tirer, et il resta à la regarder dans une morne stupeur. Elle était dans une situation si désespérée, plongée si avant dans le malheur, qu’il ne semblait pas qu’il fût au pouvoir des hommes de l’en tirer. Que pouvait-il faire pour elle ? elle avait perdu la paix de l’âme, son honneur était irréparablement ruiné, elle était retranchée à jamais de la société, et il n’osait pas l’y laisser rentrer ; il sentait que, si elle reparaissait dans le