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CHAPITRE IV

LE SYSTÈME DE NIETZSCHE
PARTIE NÉGATIVE : L’HOMME


I


Toute époque, toute civilisation a ce que Nietzsche appelle sa « table des valeurs » ; en d’autres termes, elle admet une hiérarchie des valeurs ; elle estime telle chose supérieure à telle autre ; elle croit que telle action est préférable à telle autre ; elle juge, pour prendre un exemple particulier, que la vérité est supérieure à l’erreur ou qu’un acte miséricordieux est préférable à un acte de cruauté. La détermination de cette table des valeurs, et en particulier la fixation des plus hautes valeurs, est le fait capital de l’histoire universelle, puisque cette hiérarchie des valeurs détermine les actes conscients ou inconscients de tous les individus et motive tous les jugements que nous portons sur ces actes. Ce problème de la détermination des valeurs prime donc, pour le philosophe, tous les autres ; c’est en tout cas sur lui que Nietzsche a concentré tous ses efforts. Et le résultat de ses méditations a été le suivant : la table des valeurs actuellement reconnue par la civilisation européenne est mal faite et doit être revisée du haut en bas. On doit procéder à ce qu’il appelle la « transvaluation de toutes les valeurs » (Umwerthung aller Werthe), changer par conséquent l’orientation de notre vie entière, modifier les principes essentiels sur lesquels reposent tous nos jugements. Vers la fin de sa vie consciente, son imagination, exaltée par la solitude profonde