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fondamentale de toute théologie : Dieu est la cause première de l’univers que perçoivent les sens et la vraie vie de l’homme est la vie en Dieu. Dans le cerveau des métaphysiciens l’idée vivante du Dieu bon, du Dieu des souffrants, s’est subtilisée, sublimée, décolorée ; ils l’ont métamorphosé en une immense araignée qui tisse le monde de sa propre substance ; ils en ont fait l’idéal, le pur esprit, l’absolu, la chose en soi[1]. Or cette chose en soi, ce monde réel c’est, tout simplement le pur néant, c’est une illusion dont Nietzsche conte en ces tenues la disparition progressive :

Comment le « Monde vrai » devint enfin une fable.
HISTOIRE D’UNE ERREUR

1. Le vrai monde accessible au Sage, au Pieux, au Vertueux, il vit en lui, il est ce monde.

(La plus ancienne forme de cette idée, — relativement ingénieuse, simple, convaincante. — Paraphrase de cet axiome : Moi, Platon, je suis la vérité.)

2. Le vrai monde inaccessible, quant à présent, mais promis au Sage, au Pieux, au Vertueux (« au pécheur qui se repent »)

(Progrès de l’idée : elle devient plus fine, plus captieuse, plus incompréhensible, — elle se fait femme, elle se fait chrétienne).

3. Le vrai monde, inaccessible, indémontrable, problématique, mais qui, conçu seulement par la pensée, est une consolation, une obligation, un impératif.

(L’antique soleil toujours au fond du tableau, mais vu à travers les brouillards du criticisme ; l’idée devenue subtile, pâle, septentrionale, « Kœnigsbergienne ».)

4. Le vrai monde, inaccessible ? En tout cas jamais atteint. Et parce que jamais atteint, inconnu aussi. Partant, il n’apporte ni consolation, ni rédemption, ni obligation ; à quoi pourrait, en effet, nous obliger quelque chose d’inconnu ?…

(Aube matinale. Premier bâillement de la raison. Chant du coq du positivisme.)

  1. W. VIII, 235.