Page:Lichtenberger - La Philosophie de Nietzsche.djvu/152

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tout prix — l’homme de science n’aspire clone pas à la vérité par intérêt ou par peur, mais parce qu’il ne veut à aucun prix tromper, ni lui, ni les autres. En son âme et conscience il accorde donc à la vérité un tel prix que tout, même le bonheur, même l’existence de l’humanité doit lui être subordonné. Il a foi dans la vérité comme dans une valeur absolue, métaphysique. Disons plus simplement qu’il appelle « vérité » ce que le chrétien appelle « Dieu ». Et Nietzsche conclut : « Il n’y a pas de doute l’homme véridique, — véridique au sens extrême et périlleux que suppose la foi dans la science — affirme par là sa foi en un autre monde que celui de la vie, de la nature, de l’histoire ; et du moment où il affirme cet « autre monde », eh bien ! que pourra-t-il faire de son contraire, de ce monde, de notre monde, — sinon le nier ?… Mais on comprend bien où je veux en venir : à ceci, que c’est toujours une croyance métaphysique, sur laquelle est fondée notre foi dans la science, que nous aussi les penseurs d’aujourd’hui, les athées, les anti-métaphysiciens, nous aussi nous empruntons le feu qui nous anime à cet incendie qu’une croyance plusieurs lois millénaire a allumé, à cette foi chrétienne qui fut aussi la foi de Platon que Dieu est la vérité et que la vérité est divine…[1]. » L’apôtre moderne de la vérité n’a pas osé révoquer en doute les deux valeurs suprêmes de notre vieille table des valeurs. Il n’a pas osé se demander : « Quelle est la valeur de la vérité ? » ou ce qui revient au même : « Quelle est la valeur de l’impératif catégorique de la morale qui nous commande de poursuivre la vérité ? » Il s’est arrêté au seuil du problème formidable de la Vérité et de la Morale ; il ne s’est pas dit : Pourquoi l’homme devrait-il à tout prix vouloir connaître cette Nature que nous eu ! revoyons, aujourd’hui, comme une

  1. W. V, 275.