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Ce qu’il aimait encore dans la philologie, c’est ce qu’elle a d’inactuel, pour employer une expression popularisée par Nietzsche. Le vulgaire reproche d’ordinaire au connaisseur de l’antiquité de perdre son temps à étudier des choses lointaines, mortes, inutiles, au lieu de s’occuper des questions du jour. Or Nietzsche est reconnaissant à la philologie précisément de n’être pas une science utilitaire, mais une occupation d’aristocrates, de mandarins de l’esprit ; il lui sait gré d’exiger de ses adeptes le recueillement, le silence, la sage et patiente lenteur, toutes choses inconnues à l’homme d’aujourd’hui, bruyant, affairé, superficiel. « La philologie, dit-il, est cet art respectable qui impose à ses fidèles, avant toute autre chose, de se mettre à l’écart, de se donner le temps, de devenir silencieux, de devenir lents —, un art d’orfèvre, de connaisseur du mot, où tous les travaux sont délicats et minutieux, où l’on n’arrive à rien, si ce n’est doucement, lento. C’est par là aussi qu’elle est aujourd’hui plus nécessaire que jamais ; par là qu’elle nous attire et nous séduit le plus en ce temps de « travail », je veux dire de hâte, de précipitation indécente et suante, qui veut « en finir » au plus vite avec toute chose, aussi avec les livres, anciens ou nouveaux. La philologie, elle, ne sait jamais « en finir » vite avec quoi que soit : elle apprend à bien lire, c’est-à-dire lentement, profondément, en se précautionnant dans tous les sens, avec des pensées de derrière la tête, en se ménageant des issues, à lire d’une main délicate et d’un œil expert……[1]. »

Enfin, il acceptait volontiers la perspective de consacrer sa vie à la philologie parce qu’il était fermement décidé à ne pas pratiquer cette science, en manœuvre laborieux et inintelligent, à ne pas se noyer dans l’étude pragmatique et micrographique du petit fait, à ne pas pratiquer

  1. W. IV, 10.