Page:Lichtenberger - La Philosophie de Nietzsche.djvu/59

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sont en contradiction complète avec l’idée qu’on se fait habituellement des Grecs. Si quelque jour il doit occuper une place dans l’histoire de la philologie, ce ne peut être que comme initiateur, comme promoteur d’idées directrices que les hommes de métier auront à vérifier ou à rectifier ; si le « problème dionysien », tel que Nietzsche l’a posé, recevait jamais une solution voisine de celle qu’il a esquissée, il aurait droit incontestablement à la reconnaissance et à l’estime des philologues qui l’ont si durement repoussé. L’avenir dira de quel côté était la vérité. Mais il faut ajouter en tout état de cause que, même si les idées de Nietzsche étaient sans valeur objective pour la connaissance de l’âme grecque, elles conserveraient malgré lout un intérêt de premier ordre pour l’histoire de la pensée de Nietzsche : « Je suis très éloigné de croire, a-t-il dit quelque part, que j’aie bien compris Schopenhauer ; mais j’ai appris par Schopenhauer à me connaître un peu mieux moi-même[1]. » On pourrait dire de même : Il n’est pas très sûr que Nietzsche ait bien compris les Grecs ; il n’est même pas très sûr qu’il soit utile ou simplement possible de savoir ce qu’étaient en réalité les Grecs ; aussi bien l’image qu’on se fait de l’antiquité classique n’est-elle peut-être bien que « la fleur merveilleuse née de l’ardente aspiration du Germain vers le Sud[2] ». Ce qui est certain, par contre, c’est que l’étude de l’antiquité grecque a fait naître en Nietzsche la notion de l’esprit dionysien et de la culture tragique ; or cette notion de la volonté s’exaltant à l’idée de son éternité devant le spectacle de la souffrance humaine et de la mort, correspond à l’un des sentiments les plus profonds de l’âme de Nietzsche et deviendra le pivot de toute sa philosophie. Quelle que soit la valeur intrinsèque de la Naissance de la tragédie, elle

  1. W. X. 285.
  2. W. IX, 6.