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IV


Nietzsche cependant ne se contente pas, dans ses Considérations inactuelles, de combattre les tendances de l’époque présente qu’il juge condamnables ou dangereuses : il commence, en même temps, à travailler à l’édifice de l’avenir. Il cherche dans notre civilisation contemporaine les signes précurseurs d’un changement d’orientation, d’une réforme de l’esprit public, d’une renaissance de l’esprit dionysien ; il cherche des génies modernes dignes de guider la jeunesse vers un but nouveau, capables de l’arracher à l’optimisme énervant et au culte déprimant du bien-être matériel ; il cherche enfin pour lui-même des éducateurs qui l’aident à voir clair en lui-même, qui lui révèlent ce qu’il est, où il va. Ces maîtres, ces éducateurs, Nietzsche crut tout d’abord les trouver en Schopenhauer et Wagner.

Il fut initié à la philosophie de Schopenhauer vers la fin de 1865, alors qu’il étudiait la philologie à Leipzig. Le hasard voulut qu’il achetât chez le bouquiniste Rohn Le Monde comme Volonté et Représentation[1]. Du premier coup il fut subjugué par les perspectives grandioses que lui ouvrait ce livre et plus encore par la personnalité même du philosophe qu’il devinait à travers son œuvre : « Je suis, disait-il plus tard, de ces lecteurs de Schopenhauer, qui, après avoir lu une page de lui, savent avec certitude qu’ils le liront de la première ligne à la dernière et qu’ils écouteront chaque parole qui est sortie de ses lèvres. Ma confiance en lui fut aussitôt pleine et entière : après neuf ans écoulés elle est toujours la même[2]. » Il admit — tout au moins provisoirement et sous bénéfice

  1. Mme Förster-Nietzsche, Ouvr. cité, I, 231, s.
  2. W. 1. 398.