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Nietzsche l’a trouvé en Schopenhauer. Il a vu en lui, du premier coup d’œil, un philosophe d’une entière loyauté intellectuelle, d’une parfaite sincérité dans tous ses écrits : « Schopenhauer s’entretient avec lui-même ; ou si l’on tient à lui supposer un auditeur, qu’on s’imagine un fils recevant l’enseignement de son père. Sa parole est franche, rude, bienveillante ; elle s’adresse à un auditeur qui écoute avec amour… Ses discours, où se révèle une âme forte et sûre d’elle-même, nous tiennent sous le charme dès le premier mot ; il nous en va comme quand nous pénétrons sous une haute futaie : nous respirons à pleins poumons, nous éprouvons un bien-être soudain. Nous nous sentons, près de Schopenhauer, en un lieu où l’on aspire toujours le même air vivifiant, où règne je ne sais quelle simplicité, quel naturel inimitable, privilège exclusif des hommes qui sont maîtres chez eux, et maîtres d’une demeure opulente[1]. » À l’école de Schopenhauer, Nietzsche apprit à voir la réalité telle qu’elle est, dans toute sa laideur et avec toutes les souffrances qu’elle entraîne. Il apprit aussi que le génie doit lutter contre son temps pour prendre pleinement conscience de lui-même ; que lorsqu’il combat les préjugés, les faiblesses, les vices de ses contemporains, c’est en réalité sa propre individualité qu’il purifie en éliminant tous les éléments étrangers et parasites qui lui sont venus du dehors, en dégageant l’or pur de son génie des scories et de l’alliage qu’il contient. Enfin Nietzsche trouva, surtout, dans Schopenhauer cette définition de la vie tragique telle qu’il la concevait lui-même : « Une vie heureuse est impossible : ce que l’homme peut réaliser de plus beau, c’est une existence héroïque ; une existence où, après s’être dévoué à une cause d’où peut résulter quelque bien d’ordre général, et avoir affronté des difficultés sans nombre, il demeure finalement vainqueur mais n’est récompensé que

  1. W. I, 398 s.