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98 TANNHÄUSER

il a mis son bien en gage pour avoir trop aimé les belles femmes, le bon vin, les mets délicats et les bains deux fois par semaine ; et que sa maison est sans toit, sa chambre sans porte, sa cave effondrée, sa cuisine brûlée, que ses bêtes de charge ne portent rien, que son cheval va trop lentement, que ses coffres sont vides et ses habits trop minces. Par suite de quel hasard la légende s'est-elle emparée de ce personnage assez prosaïque pour en faire le type si profondément poétique du chantre d'amour pénitent ? Il est difficile de le dire aujourd'hui. Peut-être parce qu'il avait dit des histoires d'amour quelque peu grivoises, parce qu'il avait raconté (en plaisantant, il est vrai) que sa bien-aimée l'avait envoyé chercher la pomme donnée par Paris à Vénus, peut-être aussi parce que les pauvres jongleurs qui chantaient par les carrefours trouvaient inadmissible qu'un des leurs eût jamais pu avoir des belles femmes, des mets délicats et des bains deux fois la semaine sans quelque intervention diabolique. Peut-être encore n'y a-t- il jamais eu de légende historique sur le minnesinger Tannhäuser, auquel cas le nom de Tannhäuser aurait tout simplement été introduit par une circonstance fortuite dans une histoire où il se serait substitué à quelque autre personnage. Toujours est-il que, vers la fin du XIII° siècle selon les uns, vers le milieu du XV° siècle selon les autres, prit naissance le lied populaire qui met en présence le minnesinger coupable et repentant et le pape Urbain, l'austère représentant de l'ascétisme chrétien et de l'intolérance dominicaine (1).

(1) Gaston Paris [Revue de Paris, 15 déc. 1S97 et 15 mars 1898) regarde la légende de Tannhäuser comme une adaptation allemande de la légende italienne du Monte della Sibilla dont les données essentielles sont identiques : dans l'une et l'autre un chevalier allemand pénètre dans un « paradis » souterrain, s'en arrache par un effort de volonté, demande l'absolution au Pape qui la refuse et retourne désespéré à la montagne fatale, les messagers du Pape envoyés pour lui apporter l'absolution arrivant trop tard.