Page:Lichtenberger - Richard Wagner, poète et penseur, 1907.djvu/17

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

exemplaire tout à fait caractéristique et en quelque sorte paradoxal de ce drame, une soixantaine de vers suffisent au poète pour décrire la situation et poser ses personnages ; après quoi l'action toute entière se déroule au fond de l'âme des deux héros du drame. Tristan et Iseut s'aiment d'un amour irrésistible, tout puissant, plus fort que la loi de l'honneur qui les sépare impérieusement ; et cet amour éteint en eux la soif de vivre, parce qu'il rend impossible pour eux la seule forme d'existence qui puisse convenir à de nobles âmes, la vie au grand jour, loyale, sans remords et sans honte. Toute la pièce raconte la longue agonie des deux amants qui ont bu le poison mortel du philtre d'a- mour, leur détachement progressif de la vie trompeuse et mauvaise, du jour brillant et menteur qui les sépare, leur aspiration toujours plus ardente vers la mort libératrice, vers la nuit bienfaisante qui verse l'apaisement suprême dans leur cœur meurtri par les souffrances de la vie, et qui les endort, unis pour toujours, dans la grande paix du néant. D'action extérieure il n'y en a presque plus : tout le second acte n'est qu'un immense duo entre les deux amants, tout le troisième est rempli par les plaintes de Tristan blessé qui craint de mourir sans avoir revu sa bien-aimée, et par les adieux à la vie d'Iseut qui meurt d'amour sur le cadavre de Tristan. Cette action extérieure, simplifiée à outrance, n'est plus en quelque sorte que le cadre artistement ouvré, d'ailleurs, dans lequel se déroule, avec une magnifique ampleur, ce drame intime d'amour et de mort où les vers du poète se marient harmonieuse- ment avec la musique du compositeur. On peut contes- ter évidemment qu'un drame comme Tristan soit à pro- prement parler une pièce de théâtre ; on peut regarder, par exemple, les œuvres de Wagner comme « des sublimes symphonies dramatiques qui donnent aux Allemands