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76 LE VAISSEAU-FANTOME

pour les sujets qu'il a traités, la forme définitive sous laquelle ils ont passé à la postérité et vivent encore aujourd'hui dans l'imagination de nos contemporains. Ses drames résument donc, en quelque sorte, pour la conscience moderne, une bonne partie de l'œuvre du romantisme. A un autre point de vue encore, Wagner me paraît se rattacher aux romantiques : il a comme eux, au plus haut degré, le sentiment des puissances élémentaires de la nature. On sait que, pour les poètes romantiques, la nature est véritablement vivante, animée, peuplée d'esprits et de fantômes; pour eux il y a vraiment une âme de la forêt, des eaux ou de la montagne ; et cette âme, ils savent en dire le penser confus et mystérieux. Chez Tieck, par exemple, Heine signale et admire dans son École romantique une sorte d'accord singulier avec la nature, surtout avec le règne des plantes et des pierres. « Le lecteur, dit-il, se sent comme transporté dans une forêt enchantée ; il entend les sources souterraines ruisseler mélodieusement. Il croit entendre quelquefois son propre nom prononcé dans les murmures du feuillage. Des plantes aux larges feuilles, qui semblent animées, enlacent ses pieds et entravent sa marche; des fleurs merveilleuses et inconnues ouvrent, pour le contempler, de grands yeux diaprés de mille couleurs ; des lèvres invisibles pressent son front ; de hauts champignons s'agitent au pied des arbres, et résonnent doucement comme des clochettes ; de grands oiseaux silencieux se balancent sur les branches, et baissent vers lui leurs longs becs pensifs... Tout respire; tout est frémissant et plein d'attente (1). » Chez Weber, même senti-

(1) "Werke (éd. 5^trodtmaim) IV, 141 s. — Sur le sentiment de la nature chez les romantiques et chez Tieck en particulier, voir aussi Brandts, Die romani. Schule in Deutschland, 4° édition, Leipzig, 1895, p. 109 ss.