Page:Linstant de Pradine - Nos fils, ou de la Néotocratie en Haïti.djvu/7

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— V —

goût délaisser à d’autres le soin de me reprocher d’aimer la France. Et pourquoi ne l’aimerais-je pas, cette France où j’ai de si bons amis ; cette France si grande, si généreuse, si hospitalière, si assimilante ; cette France dont j’ai vu et partagé les douleurs en 1870 ? Quoi ! aimer la France, c’est ne pas aimer Haïti ! Aimer sa femme, c’est cesser d’aimer sa mère ! N’est-ce donc pas donner à cette mère toujours adorée une nouvelle preuve de mon dévouement que de vouloir qu’elle se débarrasse des verrues qui la déparent, qu’elle efface de ses institutions les traces de ressentiment devenues un anachronisme, et dont la persistance est une injure à la philanthropie et une barrière à la civilisation ? Si par cela seul qu’on a planté sa tente en Haïti, on est devenu complètement indifférent au sort de la colonie où l’on a reçu le jour, où l’on a passé sa première enfance, tant pis pour le cœur sec qui peut si facilement oublier. Pour moi, je n’ai pas de tente plantée en France ; mais sous celle que j’ai trouvée toute plantée en Haïti par mes ancêtres, et que je continuerai à consolider en y prêchant la concorde, l’union entre nous tous, membres de la même famille, le culte du beau, du bien, du bon, je ne cesserai jamais d’aimer la France, de me réjouir de son bonheur et de m’affliger de ses désastres. Quoi qu’en dise le Néo-Haïtien, cet amour embrasse toutes les colonies qu’abrite le drapeau tricolore ; car de tradition, nous les considérons comme des soeurs, et beaucoup de leurs fils comptent avec gloire dans les fastes de notre histoire.