Page:Lintier - Ma pièce, 1917.djvu/112

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fusil, exhortent un petit fantassin, dont un éclat a labouré l’épaule. Très pâle, les yeux clos, d’un mouvement du front entêté et las, il refuse de se laisser soulever. Des soldats, atteints aux jambes, marchent encore en s’aidant de leur fusil comme de béquilles. Ils implorent :

— Emmenez-nous !

Nous leur donnons nos places sur les coffres. À chaque cahot de la route, un gros clairon, dont une balle a traversé la poitrine, laisse échapper un soupir de douleur.

Dans les champs, en marge de la route, traînent des sacs éventrés, d’où s’échappent des caleçons, des chemises, un calot, des brosses. Il y a au milieu du chemin des godillots, des gamelles, des marmites aplaties par les roues des voitures et les sabots des chevaux, des linges, des baïonnettes, des cartouchières dont les cartouches aux douilles de cuivre luisent dans la poussière, des képis, des lebels brisés. Cela serre le cœur à pleurer. Malgré moi, je pense aux routes de la défaite en août 1870, après Wissembourg, après Forbach. Depuis un mois, pourtant, on ne parlait que de victoires. Nous voyions l’Alsace reconquise, l’Allemagne ouverte. Et au premier choc, voici notre armée, à nous, vaincue ! Avec un peu d’étonnement, je me dis que je viens d’assister à une défaite.

Nous atteignons la lisière des bois de Guéville