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Page:Lintier - Ma pièce, 1917.djvu/249

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rivière ? La pensée d’un guet-apens, pareil à ceux que nous avons tendus aux Allemands au passage de la Meuse, m’angoisse un peu.

Près d’Attichy, tandis que nos batteries vont prendre position, les échelons s’arrêtent sur un chemin en lacet qui conduit au plateau à travers des bois, aux verdures extrêmement denses, tout humides et odorantes encore sous la pluie d’hier. Dans une petite carrière de pierre blanche, ouverte au bord de la route et qu’inonde le soleil, je m’étends avec quelques camarades sur de hautes fougères. Je vais m’endormir, quand, tout à coup, le fracas d’un obus, qui vient de s’abattre à proximité, se répand en ondes vibrantes dans les taillis, dont chaque feuille semble bruire.

Un canonnier apparaît à l’entrée de la carrière, très pâle, titubant. Il tient son coude droit dans sa main gauche, et se laisse tomber sur les fougères. Il murmure :

— J’en ai…

— Où ?

D’un petit mouvement de la tête, il montre son coude ouvert, d’où le sang s’échappe. Et voilà qu’on entend, venant de la route, qui, coup sur coup, fait deux détours et s’enfonce ensuite sous une voûte obscure de grands hêtres, un bruit confus de gémissements, de cris et de piétinements.