Page:Lintier - Ma pièce, 1917.djvu/57

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pommeau, nous ombragent la tête. Insouciants, débraillés, le ventre au soleil, les artilleurs dorment. Je dormirais bien aussi, car je suis las des courses de la nuit. Mais je songe à l’angoisse de celles qui sont restées là-bas, à la nouvelle des hécatombes d’Alsace. Elles ne savent pas où je suis. Partout où l’on se bat, elles peuvent m’y croire.

Sur la route, des colonnes d’artillerie succèdent aux régiments de ligne. Il est neuf heures. Aucun bruit n’annonce la bataille.

Un conducteur secoue sa couverture. Je sursaute et Déprez, qui sommeille près de moi, sursaute aussi. Le canon ? Non, pas encore.

L’armée d’Alsace est à Mulhouse. Une grande bataille a été livrée à Altkirch. Nous sommes vainqueurs. La nouvelle est officielle. C’est le commencement de la revanche. Mais on parle de cinquante mille morts !!

La contemplation des hautes collines blondes de l’Est, derrière lesquelles gît notre destin, nous retient, Déprez et moi, dans une sorte de fascination magnétique. Là-bas, il y a d’autres hommes, des masses d’hommes dans des plaines, dans des bois, et ils nous donneront la mort si nous ne la leur donnons pas.

Dans l’écrasement de la chaleur, mon esprit se traîne à travers ces pensées, s’immobilise devant