Page:Lintier - Ma pièce, 1917.djvu/77

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de capotes maculées de taches sombres. Des baïonnettes et des fusils, rouges de rouille et de sang, hérissent ce chargement ; une grande ceinture de flanelle bleue, toute mouillée, pend derrière une des voitures, traîne dans la boue du chemin. C’est toute la dépouille des malheureux fantassins tués à Mangiennes qui passe.

Cette apparition, lamentable sous la pluie, nous émeut plus profondément que tous les récits qu’on nous a faits du combat de lundi dernier.

J’ai vu tantôt, en menant les chevaux à l’abreuvoir, à la porte du cimetière crénelé d’Azannes, des fantassins qui dormaient, étendus au hasard, très las et débraillés. On eût dit des morts. Je me représente ainsi ceux de Mangiennes. Et ces dépouilles évoquent encore pour nous les tranchées où on a dû les aligner.

Dans le grand silence qui, depuis huit jours, règne le long des lignes, nous allions presque oublier l’œuvre de mort pour laquelle nous sommes ici.


À la brune, la soupe avalée toute chaude, nous regagnons le cantonnement. C’est une grange spacieuse où l’on dort bien sur la paille. Dans le village, grouillent des soldats de toutes armes. Les dolmans bleus des chasseurs, les culottes rouges des fantassins marquent de notes claires les masses