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Page:Lirondelle - Le poète Alexis Tolstoï, l’homme et l’œuvre, 1912.djvu/606

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plus beau gentilhomme de France. Mais à tous ses avantages extérieurs, le marquis enjoignait un autre, dont l’attrait, je puis l’avouer à présent, n’était pas le moins puissant auprès de nous autres jeunes femmes. C’était le plus grand mauvais sujet de la terre, et je me suis souvent demandé pourquoi ces gens-là nous attirent malgré nous. Tout ce que j’ai pu trouver, c’est que plus un caractère est inconstant, plus nous avons de plaisir à le fixer. On se pique d’amour-propre de part et d’autre et c’est à qui jouera au plus fin. Le grand art dans ce jeu-là, mes enfants, c’est de savoir s’arrêter à temps et de ne pas exaspérer son partenaire. C ’est surtout pour vous. Hélène, que je fais cette observation. Si vous aimez quelqu’un, mon enfant, ne faites pas avec lui comme j’ai fait avec d’Urfé, car Dieu sait si j’ai pleuré son départ et si je me suis reproché ma conduite. Je dis cela sans préjudice à mon attachement pour votre grand-père, qui m’épousa six mois après et qui certainement était l’homme le plus digne et le plus loyal qu’on puisse voir.

J’étais à celle époque veuve de mon premier mari, M. de Gramont, que je n’ ai presque pas connu et que je n’avais épousé que pour obéir à mon père, la seule personne que je craignisse au monde. Vous pouvez vous figurer que le temps de mon veuvage ne me parut guère long ; j’étais jeune, jolie et parfaitement libre de mes actions. — Aussi je mis à profit cette liberté et aussitôt mon deuil fini, je me lançai, tête baissée, dans les bals et les réunions, qui, soit dit en passant, étaient bien autrement gais alors qu’ils ne le sont aujourd’hui.

Ce fut à une de ces réunions que le marquis d’Urfé se fit présenter à moi par le commandeur de Bélièvre, un vieil ami de mon père, auquel celui-ci, qui résidait toujours dans son château des Ardennes, m’avait recommandée comme à un parent. — Cela me valait des exhortations sans fin de la part du digne commandeur, mais, tout en le ménageant et le cajolant de mon mieux, je ne faisais pas grand cas de ses remontrances, comme vous allez bientôt en juger. J’avais déjà beaucoup entendu parler de M. d’Urfé et j’étais fort curieuse de voir si je le trouverais aussi irrésistible qu’on me l’avait dépeint.

Quand il s’approcha de moi avec une aisance charmante, je le regardai si fixement, qu’il se troubla et ne put achever la phrase qu’il avait commencée.

— Madame, me dit-il plus tard, vous avez au front, un peu