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AUTOUR D’UNE AUBERGE

son devoir. Il aimait ses paroissiens, et se sentait aimé. Il était véritablement le père de tous et il n’est aucune infortune qu’il ne soulageât. Une année, les feux de forêts avaient détruit une partie des habitations de ses ouailles ; il avait pleuré avec eux ; mais, cette année-là, bien qu’il fut pauvre, pas un de ses paroissiens n’avait payé sa dîme ; au contraire, il avait fait remise à plusieurs des comptes de semences qu’ils lui devaient depuis de longues années. On le vénérait et on l’aimait. Ce bon Curé, le soir, aimait à causer avec ses paroissiens, qui se groupaient autour de lui et l’écoutaient avec un religieux respect. C’est dire que ce prêtre était heureux. Il l’avouait ingénument à ses confrères qui le visitaient de temps en temps : « Je suis trop heureux, leur disait-il ; comment ferai-je pour me sauver, je suis le plus heureux des prêtres ? » Tous se contentaient de lui dire : « Tant mieux pour toi, mon vieux, accepte ce bonheur que le Maître te fait goûter, l’épreuve viendra plus vite peut-être que tu ne penses. »

Cette épreuve ne devait pas tarder d’arriver, ainsi qu’on le verra bientôt.

Un soir, tandis que, comme à l’ordinaire, les hommes devisaient en fumant leurs pipes tout en se reposant des labeurs du jour, ils virent venir à eux un étranger qui paraissait harassé de fatigue. C’était un jeune homme à l’air résolu, bien constitué, robuste, d’une trentaine d’années environ. Ayant salué sans ti-