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THUCYDIDE, LIV. I.

songez que nous sommes précisément dans cette circonstance où notre grand ami est celui qui nous sert, et notre mortel ennemi, celui qui contrarie nos projets. Ne recevez pas malgré nous dans notre alliance ces brigands de Corcyre, et ne les protégez pas au mépris de nos droits. Vous comporter ainsi, c’est vous acquitter d’un devoir et consulter vos plus grands intérêts. »

Ainsi parlèrent les Corinthiens.

Chap. 44. Les Athéniens, ayant entendu les deux partis, se formèrent deux fois en assemblée. Ils penchèrent la première fois en faveur des Corinthiens ; mais ils changèrent d’avis la seconde. Il est vrai qu’ils ne jugèrent pas à propos de faire avec Corcyre un traité d’alliance offensive, en vertu duquel ils auraient mêmes amis et mêmes ennemis ; car les Corcyréens auraient pu les engager à faire partir de concert leur flotte contre Corinthe, et c’eût été rompre le traité qu’ils avaient avec le Péloponnèse : mais ils contractèrent réciproquement une alliance défensive contre ceux qui attaqueraient Corcyre, Athènes, ou quelqu’un de leurs alliés. Ils sentaient bien que, malgré ce ménagement, ils auraient la guerre avec le Péloponnèse ; mais ils voulaient ne pas abandonner aux Corinthiens, Corcyre, qui avait une marine si florissante ; mettre ces peuples aux prises, et les froisser les uns contre les autres, pour trouver plus faibles les Corinthiens et les autres puissances maritimes du Péloponnèse, quand eux-mêmes auraient à les combattre. D’ailleurs l’île de Corcyre leur paraissait commodément située pour le paraple de l’Italie et de la Sicile.

Chap. 45. Tels furent les motifs qui engagèrent les Athéniens à recevoir les Corcyréens dans leur alliance, et quand la députation de Corinthe se fut retirée, ils ne tardèrent pas à leur envoyer un secours de dix vaisseaux. Lacédémonius, fils de Cimon ; Diotime, fils de Strombichus, et Protéas, fils d’Épiclès, en obtinrent le commandement. Il leur fut ordonné de ne pas combattre les Corinthiens, à moins que ceux-ci ne naviguassent contre Corcyre, et ne se disposassent à effectuer une descente dans cette île, ou dans quelque endroit qui en dépendît ; alors ils les combattraient de toutes leurs forces : injonction qui avait pour but d’éviter une rupture. Les vaisseaux abordèrent à Corcyre.

Chap. 46. Les Corinthiens, ayant terminé leurs préparatifs, voguèrent contre Corcyre avec cent cinquante vaisseaux, dont dix de l’Élide, douze de la Mégaride, dix de la Leucadie, vingt-sept de l’Ambracie, un de l’Anactorie, et quatre vingt-dix des leurs. Chacune de ces républiques avait son général. L’un des cinq, celui des Corinthiens, était Xénoclidès, fils d’Eutyclès. Naviguant de Leucade, ils arrivent près du continent opposé à Corcyre, et ancrent à Chimérium, dans la Thesprotide. Chimérium est muni d’un port dominé par la ville d’Éphyre, laquelle touche au rivage et à son territoire enclavé dans l’Éléatide, pays de la Thesprotide. Le lac Achérusias longe cette ville (ou plutôt le territoire de cette ville), et se décharge dans la mer, redevable de son nom et de ses ondes à l’Achéron, qui les lui apporte en tribut, après avoir traversé la Thesprotide. Sur cette même côte coule aussi le Thyamis, qui borne la Thesprotide et la Cestrine ; et entre les deux fleuves s’élève le promontoire Chimérium. Les Corinthiens donc abordèrent dans cette partie du continent, et y campèrent.

Chap. 47. À la nouvelle de leur arrivée, les Corcyréens montèrent cent dix