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THUCYDIDE, LIV. I.

Le plus grand nombre vota la guerre. Comme cependant rien n’était prêt, on jugea qu’on ne pouvait en venir tout de suite aux hostilités, mais que chacun devait, sans délai, faire ses préparatifs. Il ne s’écoula pas une année entière avant qu’on fût en état de faire une invasion dans l’Attique et de commencer ouvertement la guerre.

Chap. 126. Ce temps fut employé en négociations avec les Athéniens ; on leur portait les griefs qu’on avait contre eux. On aurait un prétexte plus spécieux de les traiter en ennemis, si l’on ne recevait pas de satisfaction. D’abord les députés de Lacédémone leur prescrivirent de renvoyer les familles dévouées à l’anathème de la déesse. Voici l’histoire de cet anathème.

Un Athénien, homme Cylon, vainqueur aux jeux olympiques, d’une famille ancienne et puissante, avait épousé la fille de Théagène, Mégarien, alors tyran de Mégares. Il consultait un jour l’oracle des Delphiens, et le dieu lui répondit que, le jour de la plus grande fête de Jupiter, il pourrait s’emparer de l’acropole d’Athènes. Il emprunta donc des secours à Théagène, fit entrer ses amis dans son projet, et, la célébration des fêtes olympiques dans le Péloponnèse arrivée, s’empara de l’acropole. Son but était d’usurper la tyrannie. Il croyait que cette fête était la plus grande de Jupiter, et qu’elle le concernait en quelque sorte lui-même, à cause de sa victoire aux jeux olympiques. Y avait-il dans l’Attique ou ailleurs une fête encore plus solennelle ? C’est ce qui ne lui vint point à la pensée et ce que l’oracle n’avait pas dit. Or, il se célèbre chez les Athéniens, hors de la ville, une fête nommée Diasia, en l’honneur de Jupiter Milichius, et c’est la plus grande de toutes. Des citoyens en grand nombre, de tout rang, de tout sexe, de tout âge, y offrent en sacrifice, non des victimes, mais des productions de la contrée. Cylon, croyant bien comprendre l’oracle, exécuta son dessein. Les Athéniens, informés, accourent en masse de la campagne au secours de l’acropole, l’investissent, en font le siége. Comme il traînait en longueur, las de rester campés devant là place, la plupart se retirèrent et investirent les neuf archontes d’un pouvoir absolu pour donner, sur la garde et sur tout le reste, les ordres qu’ils jugeraient nécessaires. Alors les archontes étaient chargés de presque toute l’administration. Les hommes assiégés avec Cylon étaient aux abois, manquant de vivres et d’eau. Cylon et son frère parvinrent à s’évader. Les autres, se voyant pressés, et plusieurs même mourant de faim, s’assirent en supplians près de l’autel qui est dans acropole. Ceux à qui la garde en était confiée, les voyant près de mourir dans l’hiéron sacré, les firent relever avec promesse de ne leur faire aucun mal ; mais, après les avoir emmenés, ils les égorgèrent. Ils allèrent jusqu’à tuer, sans scrupule, quelques-uns de ces malheureux assis aux pieds des autels, et en la présence des déesses vénérables. Ils furent regardés depuis comme des hommes souillés, pour avoir offensé la déesse, et cette tache passa à leurs descendans. Les Athéniens les exilèrent. Le Lacédémonien Cléomène concourut à une expulsion postérieure, d’intelligence avec des mécontens d’Athènes. On ne se contenta pas de condamner les vivans à l’exil ; on rassembla même les os des morts, qu’on jeta hors des limites. Ces bannis rentrèrent dans la suite ; leur postérité est encore dans la ville.

Chap. 127. Les Lacédémoniens, en demandant que cette souillure fût expiée, prétextaient l’offense faite aux dieux ; mais la vérité, c’est qu’ils savaient que Périclès, fils de Xanthippe,