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THUCYDIDE, LIV. II.

croirais suffisant de décerner aux citoyens que des vertus réelles ont rendus recommandables, des honneurs réels comme leurs vertus, tels que ceux dont la république environne aujourd’hui ce monument funèbre. Comment en effet garder une juste mesure et réunir tous les suffrages dans un éloge où l’on peut à peine fixer l’opinion sur la fidélité des récits ? Les auditeurs sont-ils instruits des faits, ou disposés à les croire : l’orateur ne remplit jamais leur attente. Ignorent-ils les faits : dès qu’on leur a présenté quelque trait trop au-dessus de leur nature, l’envie leur dit qu’on exagère. Car l’homme supporte l’éloge de la vertu d’autrui, tant qu’il se croit à la hauteur des belles actions qu’il entend raconter ; ce récit l’a-t-il convaincu de son infériorité, envieux, il devient aussitôt incrédule. Mais puisque cette institution est consacrée par l’approbation de nos ancêtres, m’y conformer est un devoir que je vais m’efforcer de remplir, en me rapprochant, autant qu’il sera possible, de ce que pense et veut chacun de vous.

Chap. 36. » Je commencerai par nos aïeux : c’est un tribut que nous leur devons dans une telle circonstance. De tout temps possesseurs de cette contrée, ils nous l’ont léguée de race en race, libre jusqu’à ce jour, grâces à leurs vertus ; ils ont donc un droit acquis a nos éloges. Mais que ne devons-nous pas surtout aux auteurs de nos jours, qui, reculant les bornes du domaine dont ils avaient hérité, nous ont transmis, non sans de grands efforts, tout ce que nous possédons aujourd’hui ! En leur offrant ce légitime hommage, nous ajouterons cependant que c’est à nous, à ceux d’entre nous qui sont dans la force et la maturité de l’âge, que cet empire doit sa stabilité. C’est nous qui avons rendu cette république aussi redoutable pendant la guerre que florissante pendant la paix.

» Il n’est aucun de vous qui ne connaisse ces combats livrés par nos ancêtres pour la défense de la patrie, et ces guerres moins anciennes où nos pères et nous-mêmes signalâmes notre valeur contre les Hellènes et les Barbares. Sans vous fatiguer de ce récit, je vais vous parler avant tout, et des vertus qui nous ont conduits aux premiers degrés de cette puissance, et de la forme de notre gouvernement, et des mœurs auxquelles nous devons cette grandeur actuelle. Je passerai ensuite à l’éloge de nos guerriers. Ces considérations ne sauraient être étrangères à la cérémonie qui nous rassemble. J’en crois d’ailleurs le développement utile à cette foule de citoyens et d’étrangers réunis en ce lieu pour m’entendre.

Chap. 37. » La constitution sous laquelle nous vivons, n’est pas faite à l’imitation des lois qui régissent les autres peuples : loin d’être imitateurs, c’est nous qui avons servi de modèles à plusieurs. On a donné à ce gouvernement le nom de démocratique, parce qu’il dirige tous ses ressorts vers l’intérêt du grand nombre. S’élève-t-il quelques différends entre particuliers, les lois ne font aucune acception des personnes. Aspire-t-on aux emplois, selon le genre dans lequel on excelle, l’avantage d’appartenir à un ordre distingué n’y conduit pas plus sûrement que le mérite ; jamais le défaut d’illustration n’en a fermé l’accès au citoyen pauvre, mais en état de servir sa patrie.

» Traitant les affaires publiques avec franchise, on ne nous voit point, dans la vie privée, armés l’un contre l’autre de l’œil du soupçon, épier nos habitudes domestiques ; et le citoyen qui accorde quelque chose à ses plaisirs, n’a point à redouter notre humeur austère. Il ne