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THUCYDIDE, LIV. II.

le riche passer de l’économie de sa maison à l’administration de l’état, et le citoyen laborieux montrer autant d’habileté dans la discussion des intérêts publics que dans l’exercice de l’industrie nécessaire à sa subsistance.

» Nous sommes en effet les seuls chez qui le citoyen entièrement étranger aux affaires politiques soit regardé, non pas seulement comme un homme inoccupé, mais comme un être inutile. Aussi n’est-il personne de nous qui, dans les délibérations publiques, ne soit capable ou de concevoir des idées heureuses, ou d’apprécier celles des autres, parce que, selon nous, ce qui nuit au succès, c’est, non la prudence qui discute avant d’entreprendre, mais la précipitation qui s’engage avant d’avoir discuté.

» Un autre avantage qui nous distingue, c’est une grande hardiesse de vues jointe à une égale sagesse dans nos délibérations sur ce que nous devons entreprendre ; tandis que, chez les autres hommes, l’audace est fille de l’ignorance et la réflexion enfante la timidité. Or quel est l’homme véritablement invincible ? N’est-ce donc pas celui qui connaît, par une expérience qui ne trompa jamais, les douceurs de la paix et les calamités de la guerre, et que la jouissance de l’une ne rend jamais moins ardent à voler aux dangers de l’autre ?

» En amitié, quelle différence entre nous et les autres hommes ! L’amitié en général s’acquiert par les bons offices : la nôtre est le prix de nos propres bienfaits, beaucoup plus solide sans doute, parce qu’une fois engagés par nos bienfaits mêmes, nous sommes intéressés à entretenir, par de nouveaux services, le germe de reconnaissance que nous avons déposé dans les cœurs ; au lieu que le sentiment s’émousse dans l’âme de celui qui reçoit, et quand il oblige son bienfaiteur, il sait que ce n’est point un don qu’il offre mais une dette qu’il acquitte.

» Seuls encore nous obligeons nos alliés sans craindre de les agrandir à notre préjudice, et nous cédons, non au calcul de l’intérêt, mais au sentiment de notre indépendance.

Chap. 41. » Ajoutons un dernier trait à ce tableau, et disons qu’Athènes est l’école de l’Hellade, que chaque citoyen en particulier semble avoir reçu du ciel ces formes aimables, ces heureuses dispositions qui le mettent en état de tout exécuter avec succès, avec facilité, avec grâces.

» Et que personne ne soupçonne cet éloge d’exagération et de flatterie. J’en atteste la puissance même de la république : n’est-elle pas le plus beau témoignage rendu aux vertus qui nous ont acquis cette puissance ?

» Seule entre toutes les républiques existantes, supérieure à sa renommée, Athènes se présente fièrement et défie la censure. L’ennemi qui est venu l’attaquer, n’a point à rougir d’avoir été vaincu par un peuple indigne de la victoire ; quant à nos sujets, oseraient-ils reprocher à la fortune de les soumettre à des hommes qui ne sont pas nés pour l’empire ? Tout enfin, autour de nous, offre des monumens de notre grandeur, qui nous assurent l’admiration et du siècle présent et des âges à venir ; et pour étendre notre gloire, nous n’avons besoin ni d’un nouvel Homère, ni de toutes les fables dont l’agrément entretient une illusion que bientôt détruit la vérité des faits. La terre et la mer, forcées de s’ouvrir à notre audace, sont devenues le double théâtre où nous avons fondé de nombreux et d’impérissables monumens de nos vengeances et de nos bienfaits.

» Nos guerriers ont donc avec raison préféré la mort à l’eclavage, qui les au-