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THUCYDIDE, LIV. II.

» Vous croyez ne commander qu’à vos alliés ; et moi je déclare que des deux élémens ouverts à l’ambition de l’homme, la terre et la mer, il en est un sur l’immensité duquel vous régnez, et que votre domination y est assurée, non seulement aux lieux où vous l’avez établie, mais encore partout où il vous plaira de l’étendre ; et il n’est ni peuple, ni roi, qui puisse arrêter vos flottes dans leur course triomphante. Votre puissance ne réside donc pas dans la possession de ces maisons de plaisance et de ce territoire dont cependant vous regardez la perte comme un mal des plus grands. Eh ! que sont auprès de votre grandeur nationale des maisons de campagne et des terres, sinon des jardins de luxe, des ornemens superflus de l’opulence ! Persuadons-nous que la liberté, si nous savons la saisir et la conserver, réparera toutes les pertes ; au lieu que pour ceux qui courbent la tête sous le joug, même les avantages accessoires de la liberté s’évanouissent. Nos pères l’ont acquise et conservée par de pénibles travaux, et de plus ils nous l’ont transmise : gardons-nous de dégénérer sur ces deux points. N’est-il pas plus honteux de se laisser arracher des mains un bien qu’on possède, que d’échouer dans des tentatives faites pour se le procurer ? Marchons tous ensemble, avec un noble sentiment de respect pour nous-mêmes, de mépris pour l’ennemi. Même le lâche peut concevoir de lui une haute idée, illusion que produit une ignorance enhardie par quelques succès. Mais le guerrier intimement convaincu de sa supériorité a seul le droit de mépriser. Or, cette conviction nous l’avons ; et, à fortune égale, le talent fier s’inspire à lui-même une audace qui se fonde non sur des espérances toujours incertaines, mais sur la connaissance de ses avantages réels, connaissance qui déjà est une force de plus.

Chap. 63. » Cette glorieuse prééminence dont jouit la république et qui vous enorgueillit tous, défendez-la, sans vous refuser aux fatigues, ou cessez de vous l’attribuer. Et ne pensez pas qu’il s’agisse uniquement d’une alternative de servitude ou de liberté : vous avez à craindre à-la-fois, et d’être privés de l’empire, et d’être punis de tous les actes qui vous auront rendus odieux pendant que vous l’aurez possédé. Non, il ne vous est plus possible de l’abdiquer, quoi qu’en disent des hommes qui, par une crainte pusillanime, prennent l’inertie pour de la vertu. Votre domination ressemble à la tyrannie : s’en emparer fut injuste peut-être ; l’abdiquer serait périlleux. Bientôt ces partisans de la tranquillité, s’ils parvenaient à faire partager leurs idées, perdraient un état, quand bien même, autonome et isolé, il ne voudrait de relations avec aucun autre gouvernement. Le repos pour se maintenir veut être combiné avec l’activité. Il n’est bon à rien dans un état qui a la prééminence ; mais il convient à un pays esclave qui veut rendre sa servitude moins dangereuse.

Chap. 64. » Pour vous, Athéniens, ne vous laissez point séduire par de tels citoyens, et ne m’imputez pas à crime une guerre que vous avez décrétée avec moi, et que vous avez ainsi que moi jugée indispensable. Les ennemis ont fait une irruption : ne deviez-vous pas vous y attendre, n’ayant pas voulu souffrir qu’on vous fît la loi ? La peste est le seul fléau dont il nous ait été impossible de prévoir l’attaque et les ravages, et je n’ignore pas qu’elle est en quelque sorte la principale cause de vos ressentimens : bien injustes sans doute, à moins que vous ne consentiez à m’attribuer, comme à un dieu tutélaire tout le bien qui vous arrivera contre votre attente. Au reste, souffrons avec résignation tout ce qui nous vient de la part des dieux, avec courage