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THUCYDIDE, LIV. II.

parce qu’ils ont pour eux un grand avantage, une noble assurance et une inébranlable fermeté. Nos ennemis le sentent bien aussi : ce que votre conduite a d’extraordinaire les effraie plus que ne feraient des préparatifs proportionnés aux leurs. Souvent une armée plus faible a triomphé d’une armée plus forte, parce que celle-ci manquait ou d’expérience ou de courage ; or, nous ne pouvons être taxés ni d’ignorance, ni de lâcheté. Quant à la bataille, je ne la livrerai pas dans le golfe, si j’en suis le maître : je n’y entrerai même pas ; car je vois que, contre de nombreux vaisseaux mal habiles à la manœuvre, un espace resserré ne convient pas à une petite flotte, qui a dans ses mouvemens plus d’art et de légèreté. Ne voyant pas les ennemis de loin, on ne pourrait ni fondre sur eux à propos, ni faire retraite en cas de détresse. On ne saurait ni rompre la ligne et la traverser, ni revenir sur ses pas ; évolutions qui paraissent propres aux vaisseaux légers. Il faudrait alors changer le combat naval en un combat de terre : or, en ce cas, c’est le nombre qui décide. Autant donc qu’il me sera possible, je préviendrai tous ces inconvéniens. De votre côté, fermeté inébranlable dans vos postes, précision et promptitude dans l’exécution du commandement, ce qui vous sera d’autant plus facile que les attaques se feront à peu de distance. Dans l’action, bon ordre et silence : deux choses utiles dans les opérations de la guerre, et particulièrement dans un combat naval. Défendez-vous avec une valeur digne de vos premiers exploits. Dans le grand combat que vous allez livrer, il s’agit ou d’ôter aux Péloponnésiens tout espoir de posséder jamais une marine, ou de forcer Athènes à trembler pour l’empire de la mer. Je vous rappelle encore une fois que vous avez déjà vaincu ces mêmes ennemis que vous allez combattre : or des vaincus ne trouvent plus dans leurs âmes la même ardeur à braver les mêmes dangers. »

Chap. 90. Phormion encourageait ainsi ses soldats. [De Rhium de Molycrie, où il était,] il ne se dirigeait pas vers le golfe de Crisa et ses étroits abords. Les Péloponnésiens voulurent l’y contraindre. Ils mirent donc à la voile au lever de l’aurore ; et, rangés sur quatre de front, ils voguèrent de l’intérieur du golfe où ils étaient, le long de leur propre territoire, ne s’écartant pas de l’entrée du golfe. Ils marchaient par l’aile droite, dans l’ordre où ils se trouvaient lorsqu’ils étaient à l’ancre : ils avaient composé cette aile droite de vingt vaisseaux des plus légers. Dans le cas où Phormion, croyant que les Péloponnésiens voguent contre Naupacte, s’avancerait [en doublant le Rhium] au secours de cette place, ne pouvant se dégager de leur aile pour regagner le large, il n’échapperait pas à l’attaque dirigée contre lui, et serait facilement enveloppé. Ce qu’ils avaient prévu arriva. Le général athénien, voyant les ennemis appareiller, craignit pour Naupacte sans défense, et crut devoir, quoiqu’à regret, embarquer en hâte ses soldats. Il rasait la côte, et l’infanterie des Messéniens arrivait en même temps [de Naupacte] pour le soutenir. Les Péloponnésiens, voyant la flotte athénienne s’avancer sur une seule ligne, et déjà engagée dans le golfe et près de terre [ce qu’ils souhaitaient ardemment], donnèrent soudain le signal, virèrent de bord et se portèrent contre eux avec toute la vitesse possible. Ils espéraient le s’emparer de la flotte entière ; mais déjà onze vaisseaux plus avancés avaient évité le la ligne des ennemis et leur attaque, et avaient gagné la haute mer ; les Péloponnésiens atteignirent les autres, les