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THUCYDIDE, LIV. III.

des séductions de l’éloquence et d’une indulgence excessive, trois écueils où vient se briser toute domination. La compassion ! Vous la devez à des hommes qui y seraient accessibles ainsi que nous, et non à ceux qui, à leur tour, n’auraient de nous aucune pitié, et qui nécessairement seront à jamais nos ennemis. L’éloquence ! Les orateurs qui se plaisent à flatter vos oreilles, trouveront à s’exercer dans des occasions moins sérieuses, sans profiter d’une circonstance où, pour le plaisir d’un moment, l’état souffrirait un grand dommage, tandis qu’eux-mêmes à la gloire de bien dire joindraient l’avantage d’être bien payés. L’indulgence ! Employez-la quand elle servira à ramener des coupables et à regagner leur amitié ; mais vous n’en devez aucune à des hommes dont la haine, toujours vivante, serait toujours inflexible.

» Pour me résumer en peu de mots, je dis que si vous m’en croyez, vous ferez justice des Mityléniens, et ce sera agir selon vos intérêts. En suivant un avis contraire, vous n’obtiendrez pas leur reconnaissance, et ce sera contre vous-mêmes que vous prononcerez. Car si leur défection est légitime, votre domination est injuste. Que si, fût-ce même contre toute justice, vous prétendez les tenir asservis, il faut aussi, contre la justice, mais pour vos intérêts, les punir ; ou bien renoncer à la prééminence, et dès-lors, à l’abri de tout danger, respecter les principes et faire les gens de bien. Décidez-vous donc à les traiter comme ils vous auraient traités vous-mêmes, et ne vous montrez pas, vous qui venez d’échapper à leur perfidie, moins impitoyables que ceux qui conspiraient votre perte. Pensez à ce qu’ils eussent fait, vainqueurs, surtout ayant été les premiers à violer la justice envers nous. Ceux qui outragent sans motif, vont toujours le plus loin possible ; ils poursuivent jusqu’à la mort, et ne font aucune grâce ; parce que leurs yeux soupçonneux et inquiets voient le danger de laisser vivre l’ennemi. En effet, celui qui reçoit une offense qu’il n’avait point provoquée, lorsqu’il a échappé au péril, est plus implacable envers son injuste agresseur, qu’il ne le serait contre un ennemi déclaré et loyal. Ne vous trahissez donc pas vous-mêmes. Vous plaçant en esprit le plus près possible des tourmens qu’ils vous préparaient, rendez-leur aujourd’hui tout le mal qu’ils vous auraient fait, et poursuivez leur châtiment avec autant d’ardeur que vous en eussiez mis à tout sacrifier pour les vaincre. Ne vous laissez pas fléchir par la considération de leur situation présente : ne pensez qu’au danger suspendu, il n’y a qu’un moment, sur vos têtes. Prononcez contre eux le juste supplice dû à leur crime ; que les alliés apprennent, par cet exemple, que toute défection sera punie de mort. Lorsqu’ils le sauront bien, vous serez moins souvent forcés de perdre de vue vos ennemis pour combattre vos propres alliés. »

Chap. 41. Ainsi parla Créon. Après lui s’avança Diodote, fils d’Eucrate, qui, dès la première assemblée, avait vivement combattu le décret de mort contre les Mityléniens ; il s’exprima à peu près en ces termes :

Chap. 42. « Je ne blâme pas ceux qui viennent rouvrir la discussion sur les Mityléniens, et je suis loin d’approuver ceux qui trouvent mauvais qu’on revienne plusieurs fois sur des questions d’une si haute importance. Il est deux défauts que je crois très contraires à la sagesse des délibérations, la précipitation et la colère, compagnes ordinaires, l’une des insensés, l’autre des hommes ignorans et irréfléchis. Quiconque soutient que la discussion n’est pas un