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THUCYDIDE, LIV. IV.

dons en supplians ce que naguère nous croyions être les maîtres d’accorder. Certes, nous ne sommes pas réduits à cette extrémité, pour avoir manqué de puissance, et nous être montrés insolens lorsqu’elle s’accroissait : mais le sentiment de notre force habituelle nous a trompés ; erreur à laquelle sont également sujets tous les hommes. Il n’est donc pas raisonnable qu’éblouis de la puissance actuelle de votre république, et des succès qui viennent de l’augmenter encore, vous vous flattiez d’avoir sans retour fixé la fortune au milieu de vous.

» On doit mettre au rang des sages ceux qui savent mettre en sûreté des avantages auparavant incertains. De tels hommes se présenteront aux dangers avec plus de circonspection, ; ils considéreront que la guerre prend, non la tournure qu’on veut lui donner, mais celle des événemens qui entraînent. Des hommes ainsi disposés feront peu de chutes, parce que, loin de se laisser exalter par une aveugle confiance dans le succès, ils saisiront ardemment l’instant de la prospérité pour terminer les querelles. Athéniens, l’occasion s’en présente à vous en ce jour plus belle que jamais. Prenez garde : si vous fermez l’oreille à nos sollicitations, et que vous veniez, ce qui est possible, à éprouver un revers, on croira que vous avez dû vos avantages au seul bienfait de la fortune ; tandis qu’aujourd’hui, sans courir de risques, il dépend de vous de laisser à la postérité la plus haute opinion de votre prudence et de votre force.

Chap. 19. » Les Lacédémoniens vous invitent à finir la guerre par un traité solennel. Ils vous offrent paix, alliance, amitié, confraternité mutuelle entre les deux républiques ; et, en retour, ils réclament leurs concitoyens enfermés dans l’île. Ils pensent, en effet, qu’il est à-la-fois de votre intérêt et du nôtre de ne pas nous exposer les uns et les autres à une inévitable alternative, au hasard des combats, qui pourrait, ou les arracher de vos mains, en leur présentant quelque ressource inattendue, ou les soumettre à de plus rigoureuses conditions, s’ils sont forcés de se rendre. Selon nous, les grandes inimitiés s’éteignent, non pas lorsqu’après avoir repoussé son ennemi, obtenu sur lui une supériorité décidée, on l’enchaîne par des sermens forcés et par un traité conclu à des conditions inégales, mais lorsque, maître d’employer des voies de rigueur qu’autorise le droit des armes, on se réconcilie à des conditions modérées, générosité qui assure au vainqueur un triomphe nouveau et inespéré. En effet, l’adversaire, qui dès lors doit, non plus vengeance pour oppression, mais reconnaissance pour bienfait, est plus disposé par un sentiment d’honneur à tenir fidèlement les conventions stipulées. La réconciliation qui suit les grandes haines est plus sûre que celle qui succède à des inimitiés vulgaires. On est porté naturellement à céder à quiconque se relâche volontairement de ses droits ; mais contre d’orgueilleuses prétentions, il n’est pas de danger que l’on n’affronte ; alors, on ne consulte plus ses forces.

Chap. 20. » Nous avons la plus belle occasion de nous réconcilier, avant qu’une injure irréparable, élevant entre les deux peuples une nouvelle barrière, ne nous force, nous, d’ajouter à l’inimitié nationale des haines personnelles et que rien ne pourrait plus éteindre ; vous, de renoncer à tous les avantages que nous vous offrons aujourd’hui. Tandis que le succès des combats est encore incertain, terminons nos querelles. La gloire et notre amitié, voilà ce qui y gagne Athènes ; et Sparte, au lieu d’une catastrophe humiliante, n’aura du moins essuyé qu’un échec ordinaire. Pour nous-mê-