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THUCYDIDE, LIV. VII.

pays d’où ils venaient. Les retenir pour la guerre de Décélie, c’était évidemment une grande charge ; car on donnait à chacun d’eux une drachme par jour. Toutes les troupes de Lacédémone avaient été employées, durant l’été, à fortifier la place, et depuis, elle était occupée par des garnisons qu’y envoyaient les villes et qui se succédaient à un temps déterminé ; ce qui tourmentait beaucoup Athènes. Les affaires de cette république étaient surtout ruinées par les pertes qu’elle éprouvait en hommes et en argent. Jusqu’alors elle avait supporté des incursions de courte durée qui ne l’empêchaient pas, le reste du temps, de tirer parti de son territoire : mais, à présent que les ennemis restaient constamment dans le fort, que quelquefois il en venait plus que le fort n’en pouvait contenir, qu’une garnison régulière et complète faisait des excursions dans la campagne pour satisfaire aux besoins de la vie, et que le roi Agis se tenait dans l’Attique et n’y faisait pas mollement la guerre, les Athéniens se voyaient réduits à la plus dure extrémité. Ils étaient privés de tout leur territoire ; plus de vingt mille de leurs esclaves, presque tous gens de métier, avaient fui ; tous leurs bestiaux, toutes leurs bêtes de somme, étaient perdus. La cavalerie étant journellement occupée, faisant des courses sur Décélie ou gardant le territoire, les chevaux, sans cesse fatigués sur un terrain inégal, étaient ou blessés ou estropiés.

Chap. 28. L’importation des denrées de l’Eubée se faisait autrefois d’Orope par terre, en traversant Décélie, ce qui abrégeait le chemin : mais elle devenait dispendieuse depuis qu’on était obligé de la faire par mer, en doublant le cap Sunium. La ville, manquant à-la-fois de tous les objets qu’on tirait du dehors, offrait moins l’aspect d’une cité que d’un château fort. Les citoyens se succédaient, durant le jour, pour monter la garde sur les remparts ; et la nuit, en hiver comme en été, tous, excepté les cavaliers, s’épuisaient de fatigue, veillant sans cesse les uns dans le camp, les autres sur les remparts.

Mais rien ne les accablait plus que d’avoir à soutenir deux guerres à-la-fois. Ils en étaient venus à un tel point d’opiniâtreté, qu’avant l’événement on n’eût trouvé que des incrédules, si l’on eût avancé qu’investis par les retranchemens des Péloponnésiens, ils ne voudraient pas même alors quitter la Sicile ; que même ils iraient construire autour de Syracuses, ville par elle-même aussi grande qu’Athènes, des travaux semblables à ceux qu’on dirigeait contre eux dans l’Attique ; qu’ils offriraient aux regards des Hellènes étonnés un prodige d’audace et de puissance tellement incroyable, qu’au commencement de la guerre on avait pensé que si les Péloponnésiens entraient dans l’Attique, les Athéniens pourraient bien tenir un ou deux ans, peut-être trois, mais pas davantage ; un prodige tel, que, dix-sept ans après la première invasion, déjà entièrement épuisés par cette guerre, ils passeraient en Sicile et se surchargeraient d’une seconde guerre aussi lourde que celle qu’ils soutenaient encore contre le Péloponnèse. Il n’est donc pas étonnant qu’avec tout le mal que leur causait Décélie, et toutes les dépenses immenses qui leur survenaient, ils fussent dans une entière disette d’argent. Au lieu du tribut ordinaire, ils imposèrent leurs sujets à un vingtième sur les marchandises qui s’exportaient par mer, se flattant d’en retirer davantage. Leurs dépenses, bien différentes de ce qu’elles étaient autrefois, s’étaient considérablement accrues en proportion des embarras de la guerre, et ils se voyaient privés de leurs revenus.