Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/401

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
400
THUCYDIDE, LIV. VII.

paratifs pour nous défendre contre les leurs, nous est familier déjà, et aucune de leurs tentatives ne nous trouvera au dépourvu. Ils ont, contre leur usage, fait monter sur les ponts nombre d’hoplites, quantité de gens de trait, hommes de terre ferme, si l’on peut parler ainsi, des Acarnanes et autres, qui, loin d’être habiles à lancer des traits, puisqu’ils sont comme attachés sur des vaisseaux, troubleront nécessairement le service de la flotte, et se troubleront eux-mêmes de balancemens nouveaux pour eux. La multitude de leurs vaisseaux ne leur sera d’aucun avantage : j’en avertis ceux d’entre vous que pourrait intimider le petit nombre des nôtres. Des bâtimens nombreux, combattant dans un espace resserré, seront lents à exécuter les manœuvres, et plus faciles à endommager par les machines que nous avons préparées. Apprenez la vérité, d’après des rapports que nous croyons fidèles. Accablés de mille maux, consternés de leur dénuement, hors d’eux-mêmes, ne se fiant guère plus à leurs préparatifs qu’à la fortune dont ils veulent courir les chances, ils se proposent, dans leur désespoir, de forcer le passage et d’échapper par mer, ou de faire retraite après un combat de terre, assurés de ne pouvoir devenir, quoi qu’il arrive, plus malheureux qu’ils ne le sont.

Chap. 68. » Précipitons-nous sur cette armée en désordre, et bravons la fortune de nos plus mortels ennemis, qui se trahit elle même. Croyons qu’il est très légitime d’assouvir son ressentiment contre des hommes qui n’ont pour colorer leurs injustices que le prétexte de punir un agresseur ; et, en exerçant une légitime vengeance, nous goûterons le plaisir qu’on dit être le plus doux. Vous le savez tous, ils ont marché sur notre pays en ennemis, et en ennemis cruels, pour nous asservir. S’ils avaient réussi, ils auraient condamné les hommes aux plus affreux tourmens ; nos enfans et nos épouses à l’ignominie ; la république entière, à porter le plus honteux de tous les noms. Justement indignés d’un pareil attentat, soyez impitoyables, et croyez n’avoir rien gagné s’ils opèrent impunément leur retraite ; vainqueurs, quel plus beau fruit retireraient-ils de leur victoire ? Mais si, comme il est vraisemblable, notre attente n’est point trompée, le prix du combat sera pour nous la gloire de les avoir punis, et d’assurer à la Sicile cette liberté dont elle jouissait auparavant. Les plus nobles périls sont ceux où l’on a peu à perdre par la défaite, et beaucoup à gagner par la victoire. »

Chap. 69. Les généraux de Syracuses et Gylippe, après avoir ainsi exhorté leurs soldats, voient les Athéniens monter sur la flotte ; eux-mêmes, à l’instant, embarquent leurs troupes. Cependant Nicias, effrayé de sa position, considérait toute la grandeur du péril (on touchait au moment de quitter la rive). Il ressentit alors tout ce qu’on éprouve dans les occasions décisives. Il lui sembla que, dans le fait, tout lui manquait, et que dans sa harangue il n’avait pas encore dit tout ce qu’il devait dire. Les triérarques furent donc mandés l’un après l’autre ; il nommait chacun d’eux par son nom propre, par celui de son père, par celui de sa tribu ; exhortant ceux qui avaient brillé de quelque éclat, à ne pas le ternir ; ceux qu’illustraient leurs ancêtres, à ne pas déshonorer les vertus de leurs pères ; il leur rappelait leur patrie, cette liberté dont chacun jouissait sans redouter la censure ; leur disait beaucoup d’autres choses que des chefs en de pareilles extrémités, non seulement peuvent dire sans crainte de paraître à personne répéter des déclamations banales, mais qu’ils expriment