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THUCYDIDE, LIV. VIII.

Chap. 81. Ceux qui étaient à la tête des affaires à Samos, et qui, comme Thrasybule, depuis la révolution qu’il avait opérée, persistaient toujours dans le dessein de rappeler Alcibiade, parviennent enfin, dans une assemblée, à faire goûter ce projet au gros de l’armée. Elle décrète son retour, lui accorde toute sûreté. Thrasybule alors se rend auprès de Tissapherne, puis amène Aidbiade à Samos, croyant que l’unique moyen de salut était qu’Alcibiade s’attachât Tissapherne et l’enlevât aux Péloponnésiens. Une assemblée est convoquée : Alcibiade s’y plaint de son exil, en déplore la rigueur ; s’étend beaucoup sur la situation des affaires politiques ; inspire de grandes espérances, du moins pour l’avenir ; exagère son crédit auprès de Tissapherne, afin d’imposer de la crainte à ceux qui, dans Athènes, étaient à la tête de l’oligarchie, afin encore de dissoudre plus aisément les conjurations, d’imprimer plus de respect aux Athéniens de Samos, et de leur inspirer plus d’audace. Il voulait aussi décrier les ennemis auprès de Tissapherne, et détruire leurs espérances. Dans son discours, plein de jactance, il faisait les plus magnifiques promesses. Tissapherne, disait-il, l’avait assuré confidentiellement que, s’il pouvait se fier aux Athéniens, tant qu’il lui resterait quelque chose, dût-il même faire argent de son lit, le subside ne leur manquerait jamais, et qu’au lieu de faire passer aux Péloponnésiens les vaisseaux de Phénicie, ce serait à eux qu’il procurerait ce renfort ; mais qu’il ne prendrait confiance en eux que lorsqu’Alcibiade, à son retour, l’aurait assuré [solennellement et en homme revêtu d’un caractère public] qu’il pouvait compter sur Athènes.

Chap. 82. Charmés par ces belles paroles et par beaucoup d’autres encore, ils le donnent pour collègue aux généraux déjà nommés, et remettent dans ses mains la conduite de toutes les affaires. Ils n’auraient échangé pour rien au monde l’espoir qu’ils concevaient de se sauver et de se venger des quatre cents. D’après ce qu’ils venaient d’entendre, méprisant l’ennemi qui se trouvait en présence, ils allaient voguer contre le Pirée. Mais Alcibiade, quoique vivement sollicité, s’opposa à ce qu’on allât au Pirée en laissant les ennemis qu’on avait trop près de soi. Il dit que, puisqu’il venait d’être élu général, il réglerait d’abord avec Tissapherne les affaires de la guerre : et en effet, l’assemblée dissoute, il partit, voulant paraître tout communiquer à ce satrape, se donner auprès de lui une grande importance, lui montrer qu’il venait d’être revêtu du généralat, et qu’il était en état de le servir et de lui nuire. Il réussit par cette conduite à faire peur de Tissapherne aux Athéniens, et des Athéniens à Tissapherne.

Chap. 83. Les Péloponnésiens de Milet, informés du rappel d’Alcibiade, furent encore bien plus indisposés contre Tissapherne, à qui déjà ils avaient retiré leur confiance. Devenu plus négligent à leur payer leur solde à cause de leur refus de combattre les Athéniens qui s’étaient montrés à la vue de Milet, les manœuvres d’Alcibiade l’avaient rendu plus odieux encore qu’auparavant. Les soldats s’assemblaient entre eux ; et non seulement les soldats, mais encore des personnages considérables, se plaignaient de recevoir, au lieu de la solde entière, un traitement faible et encore très irrégulièrement payé ; disant qu’à moins d’en venir à une bataille générale, ou de passer dans un lieu d’où l’on tirât des subsistances, on verrait les hommes déserter la flotte. On rejetait tout sur Astyochus, qui, pour son intérêt particulier, s’efforçait par toute sorte de