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THUCYDIDE, LIV. VIII.

draient aux charges à leur tour ; qu’il était faux que les parens des guerriers de Samos fussent exposés à des outrages, comme l’avait calomnieusement avancé Chabrias ; qu’on ne leur faisait aucun mal, et que chacun d’eux restait paisiblement en jouissance de ses biens. Ils ajoutèrent beaucoup d’autres choses ; mais, loin de les écouter plus favorablement, les soldats s’irritèrent. On ouvrit des avis différens, celui surtout d’aller au Pirée. Alcibiade fut, dans cette conjoncture, l’homme qui rendit le plus grand service à la république. Au milieu de ces emportemens des Athéniens de Samos, empressés de s’embarquer pour tourner leurs armes contre eux-mêmes, ce qui sans doute était livrer à l’instant aux ennemis l’Ionie et l’Hellespont, nul autre que lui n’était en état de contenir la multitude. Il la fit renoncer à l’embarquement, en imposa par ses reproches à ceux qui maltraitaient en particulier les députés, donna lui-même la réponse, et dit, en les congédiant, qu’il ne s’opposerait pas à l’autorité des cinq mille ; mais qu’on devait déposer les quatre cents et rétablir le conseil des cinq cents comme par le passé ; qu’il trouvait bon qu’on eût fait des réductions sur la dépense pour ajouter à la solde des troupes. Il les engageait d’ailleurs à tenir ferme et à ne rien céder à l’ennemi, assurant que, la république une fois sauvée, les Athéniens, et de Samos et d’Athènes, finiraient par s’accorder entre eux ; mais que si l’un des deux partis, celui de Samos ou celui d’Athènes, venait à succomber, il ne resterait plus avec qui se réconcilier.

L’assemblée avait dans son sein des députés d’Argos qui offraient au parti populaire d’Athènes à Samos l’assistance de leur pays. Alcibiade les combla d’éloges, et les congédia, en les priant de se présenter quand ils seraient mandés. Ils étaient venus avec les Paraliens, lesquels, embarqués par les quatre cents sur un vaisseau qui portait avec eux beaucoup d’autres soldats, avaient reçu, peu auparavant, l’ordre d’aller en observation sur les côtes de l’Eubée après qu’ils auraient conduit à Lacédémone les trois députés qu’y envoyait la faction des quatre cents, Lespodius, Aristophon et Milésias. Mais les Paraliens, arrivés à Argos, s’étant saisis des députés [des quatre cents], les avaient livrés aux Argiens, comme principaux auteurs de la révolution qui avait renversé le gouvernement populaire ; et se gardant bien de retourner à Athènes, ils étaient revenus sur la trirème dont ils étaient maîtres, ramenant les députés argiens d’Argos à Samos.

Chap. 87. Dans le même été, et dans le temps même que, surtout à cause du rappel d’Alcibiade, les Péloponnésiens étaient le plus irrités contre Tissapherne, le jugeant partisan d’Athènes, ce satrape prenait le parti, sans doute pour effacer ces impressions, d’aller trouver à Aspende la flotte de Phénicie. Il engageait Lichas à l’accompagner, et promettait de laisser près de l’armée Tamos son lieutenant, qui serait chargé de payer le subside en son absence. On parle diversement de ce voyage, et il n’est pas aisé de savoir à quelle intention Tissapherne se rendit à Aspende, ni pourquoi, s’y étant rendu, il n’en amena pas la flotte avec lui. Que les vaisseaux de Phénicie soient venus jusqu’à Aspende, au nombre de cent quarante-sept, c’est un fait incontestable : mais pour quelle raison ne vinrent-ils pas jusqu’à l’armée, c’est sur quoi l’on forme bien des conjectures. Les uns pensent qu’il voulait (conformément à son projet) miner les Péloponnésiens par son absence : car Tamos, chargé de payer la solde, la réduisait, loin de l’augmenter. D’autres