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THUCYDIDE, LIV. VIII.

accompagner pour délivrer Alexiclès : et, prenant avec lui un des généraux qui partageait ses sentimens, il courut au Pirée. Aristarque y vint aussi avec les jeunes gens de l’ordre des chevaliers. Grand mouvement, épouvantable tumulte. Dans la ville, tous croyaient que le Pirée était pris et Alexiclès égorgé ; au Pirée, on s’attendait à une irruption de la ville tout entière. Déjà en effet les rues étaient pleines de gens qui couraient aux armes ; ils furent avec peine retenus par les vieillards et par Thucydide de Pharsale, hôte d’Athènes, qui se trouvait là. Celui-ci les arrêtait tous les uns après les autres, et leur criait de ne pas perdre l’état, quand ils avaient l’ennemi si près d’eux. Ils s’apaisèrent et n’en vinrent pas aux mains les uns contre les autres.

Théramène était lui-même général ; quand il fut au Pirée, il s’emporta violemment contre les hoplites, mais de bouche seulement, au lieu qu’Aristarque et ceux de la faction contraire étaient en effet dans l’indignation. Cela n’empêcha pas les hoplites d’aller la plupart à l’ouvrage, sans se repentir de ce qu’ils avaient fait. Ils demandèrent à Théramène s’il croyait que ce fût pour le bien de l’état que s’élevait la muraille, et s’il ne vaudrait pas mieux la raser. Il répondit que s’ils jugeaient à propos de l’abattre, il était de leur avis. Aussitôt les hoplites et une foule de gens du Pirée montent sur le mur et le démolissent. Pour animer la multitude, on lui disait que ceux qui voulaient que les cinq mille eussent l’autorité au lieu des quatre cents, devaient prendre part à cet œuvre. On se servait du nom des cinq mille pour se mettre à couvert, et ne pas parler tout haut de rendre au peuple l’autorité. On craignait que ce corps des cinq mille n’existât en effet, et qu’on ne risquât de se perdre, en s’ouvrant, sans le savoir, à quelqu’un d’entre eux. Ainsi les quatre cents ne voulaient ni que les cinq mille existassent, ni qu’on sût qu’ils n’avaient pas d’existence : ils sentaient que faire participer tant de monde au gouvernement, c’était former un état populaire ; mais que garder là-dessus le secret, c’était tenir les citoyens dans une crainte réciproque.

Chap. 93. Le lendemain les quatre cents, tout troublés, s’assemblèrent au conseil. Les hoplites du Pirée relâchèrent Alexiclès, et, après avoir détruit la muraille, se rendirent en armes au théâtre de Bacchus à Munychie, où ils formèrent une assemblée. D’après la résolution qu’ils y prirent, ils coururent à la ville, et se tinrent tout armés dans l’Anacéum. Il s’y rendit quelques personnes choisies par les quatre cents, et il s’établit des pourparlers d’homme à homme. On engagea ceux qu’on vit les plus modérés à se tenir en repos et à contenir les autres. On assura qu’on ferait connaître les cinq mille, et que ce serait entre eux et à leur choix que seraient pris les quatre cents ; qu’en attendant, il ne fallait pas perdre l’état et en faire la proie de l’ennemi. Beaucoup de personnes parlaient dans le même esprit, et beaucoup aussi les écoutaient ; le corps des hoplites devint plus tranquille, craignant par-dessus tout de mettre l’état en danger. On convint de tenir, à jour prescrit, une assemblée au théâtre de Bacchus, pour ramener la concorde.

Chap. 94. Le jour marqué pour l’assemblée au théâtre de Bacchus arriva : elle allait se former, quand on vint annoncer qu’Hégésandridas, avec quarante-deux vaisseaux, passait de Mégares à Salamine. Il n’y eut aucun hoplite qui ne crût voir accompli ce que disaient depuis long-temps Théramène et ses partisans, que cette flotte s’avançait au nouveau fort, et qu’on avait bien fait de