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XÉNOPHON, LIV. II.

S’il veut les obtenir par la voie de la persuasion, qu’il déclare donc quel sera le traitement des Grecs, lorsqu’ils auront eu pour lui cette déférence. » Phalinus répondit : « Le roi croit avoir remporté la victoire, puisque Cyrus a été tué ; car qui peut désormais lui disputer son empire ? Il vous regarde comme étant en son pouvoir, parce qu’il vous tient au milieu de ses états, entre des fleuves que vous ne pouvez repasser, et qu’il peut vous accabler sous une telle multitude d’hommes, que vous ne suffiriez pas à les égorger s’il vous les livrait désarmés. »

Xénophon Athénien prit ensuite la parole : « Vous le voyez vous-même, Phalinus, dit-il, nous n’avons plus d’autre ressource que nos armes et notre courage. Tant que nous garderons nos armes, il nous reste l’espoir que notre courage nous servira. Si nous les avions livrées, nous craindrions de perdre jusqu’à la vie. Ne pensez donc pas que nous nous dépouillions pour vous du seul bien qui nous reste. Croyez que nous nous en servirons plutôt pour vous disputer les biens dont vous jouissez. » Phalinus sourit à ce discours, et répondit : « Jeune homme, vous avez l’air d’un philosophe, et vous parlez avec agrément. Mais sachez que vous êtes un insensé si vous présumez que votre valeur l’emportera sur les forces du roi. » On prétend qu’il y eut alors des Grecs qui montrèrent quelque faiblesse, et qui dirent que comme ils avaient été fidèles à Cyrus, ils le seraient au roi s’il voulait se réconcilier avec eux, et qu’ils lui deviendraient infiniment utiles ; qu’Artaxerxès pourrait les employer à toute autre entreprise de son goût ; mais que s’il voulait les faire passer en Égypte, ils l’aideraient à soumettre ce royaume. Sur ces entrefaites, Cléarque revint et demanda si l’on avait répondu aux hérauts. Phalinus reprit la parole et lui dit : « L’un répond d’une façon, Cléarque, l’autre d’une autre. Parlez vous-même, et dites-nous ce que vous pensez. — Je vous ai vu, Phalinus, avec plaisir, répondit Cléarque, et tout le camp, à ce que je présume, vous en dirait autant ; car vous êtes Grec, et vous ne voyez ici que des Grecs. Dans la position où nous nous trouvons, nous allons vous demander avis sur ce qu’il y a à faire, d’après les propositions que vous nous apportez. Conseillez-nous donc, je vous en conjure par les Dieux, ce que vous croirez le plus honnête, le plus courageux, et ce qui doit vous couvrir de gloire chez la postérité ; car on y dira, tel fut le conseil que donna aux Grecs Phalinus que le roi envoyait pour leur ordonner de rendre les armes. Quel qu’il soit, ce conseil, vous sentez que de toute nécessité on en parlera en Grèce. » Par ces insinuations, Cléarque voulait engager le député même du roi à conseiller qu’on ne lui rendît pas les armes, et relever ainsi l’espoir et le courage des Grecs. Phalinus l’éluda par ses détours, et contre l’attente de Cléarque, il parla ainsi :

« Si entre mille chances il en est une seule pour que vous échappiez au courroux du roi, en lui faisant la guerre, je vous conseille de ne point livrer vos armes. Mais, si en résistant à ce prince il ne vous reste aucun espoir de salut, embrassez, croyez-moi, le seul parti qui puisse sauver vos jours. » Cléarque répliqua : « Tel est donc votre avis, Phalinus. Portez de notre part au roi cette réponse : s’il veut être de nos amis, nous lui serons plus utiles, et s’il est de nos ennemis, nous le combattrons mieux, les armes à la main qu’après nous en être dépouil-

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