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XÉNOPHON, LIV. III.

de la montagne au-dessus de la position où se trouvait l’armée, et vit qu’il communiquait à la colline importante, occupée par l’ennemi. « Le meilleur moyen, dit-il à Chirisophe, est de gagner au plus vite le dessus des Barbares. Si nous y réussissons, ils ne pourront pas tenir dans le poste d’où ils dominent notre passage. Demeurez, si vous le voulez, à l’armée, et je marche à la montagne, ou, si vous l’aimez mieux, portez-vous-y, et laissez-moi au gros des troupes. — Je vous donne le choix, répondit Chirisophe. » Xénophon lui dit que, comme le plus jeune, il préférait d’être détaché, et lui demanda de lui donner des hommes du front, parce qu’il eût été trop long d’en faire venir de la queue. Chirisophe commanda, pour marcher avec Xénophon, les armés à la légère de l’avant-garde, qu’il y remplaça par ceux qui étaient au centre du carré ; il commanda de plus les trois cents hommes d’élite qui étaient sous ses ordres à la tête de l’armée, et leur dit de suivre Xénophon.

Ce détachement marcha le plus vite qu’il put. Les ennemis qui étaient sur une hauteur, dès qu’ils s’aperçurent qu’on voulait gagner le sommet de la montagne, y coururent à l’envi pour prévenir les Grecs. Il s’éleva alors de grands cris, et de l’armée grecque qui exhortait ses troupes, et de celle de Tissapherne qui tâchait d’animer les Barbares. Xénophon, courant à cheval sur le flanc de son détachement, excitait le soldat par ses discours. « C’est maintenant, mes amis, vous devez le croire, c’est maintenant que vous combattez pour revoir la Grèce, vos enfans et vos femmes ; essuyez quelques momens de fatigue : le reste de votre route, vous n’aurez plus de combats à livrer. » Sotéridas de Sicyon lui dit : « Vous en parlez à votre aise, Xénophon, notre situation ne se ressemble pas : un cheval vous porte, et moi je porte un bouclier, et j’en suis très fatigué. » À ces mots Xénophon se jeta à bas de son cheval, poussa cet homme hors du rang, et lui ayant arraché le bouclier, montait le plus vite qu’il lui était possible. Ce général se trouvait avoir de plus sa cuirasse de cavalier, en sorte que le poids de ses armes l’écrasait en marchant. Il exhortait cependant toujours la tête d’avancer, et la queue, qui avait peine à suivre, de rejoindre. Les soldats frappent Sotéridas, lui jettent des pierres, lui disent des injures, jusqu’à ce qu’ils l’obligent de reprendre son boucher et son rang. Xénophon remonta sur son cheval, et s’en servit tant que le chemin fut praticable ; mais quand il cessa de l’être, ce général quitta sa monture, courut à pied avec les troupes, et les Grecs se trouvèrent arrivés au sommet de la montagne avant les ennemis.

Les Barbares tournèrent alors le dos, et chacun d’eux se sauva comme il put. Le détachement de Xénophon fut maître des hauteurs. L’armée de Tissapherne et celle d’Ariée se détournèrent et prirent un autre chemin. L’armée grecque, aux ordres de Chirisophe, descendit dans la plaine, et cantonna dans un village plein de vivres. Il y en avait beaucoup d’autres aussi bien approvisionnés dans le même canton, sur les bords du Tigre. Pendant l’après-midi, l’ennemi paraît à l’improviste dans la plaine, et passe au fil de l’épée quelques Grecs qui s’y étaient dispersés pour piller ; car on avait pris beaucoup de troupeaux, dans le moment que les conducteurs les faisaient passer de l’autre côté du fleuve. Alors Tissapherne et ses troupes essayèrent de mettre le feu aux villages, et quelques Grecs s’en désespéraient, craignant de ne plus trouver où se fournir