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XÉNOPHON, LIV. IV.

chait ses pieds de geler en les remuant, ne prenant pas de repos et se déchaussant avant de se coucher. Lorsqu’on s’endormait chaussé, les courroies entraient dans le pied, et la chaussure se durcissait et s’y attachait en gelant ; car les vieux souliers des Grecs s’étaient usés, et ils s’étaient fait faire des espèces de sandales avec du cuir de bœufs récemment écorchés. Toutes ces raisons furent cause qu’il y eut quelques traîneurs. Ils aperçurent un lieu qui paraissait noir, parce qu’il n’y avait plus de neige, et ils jugèrent qu’elle s’y était fondue : ils ne se trompaient pas. C’était l’effet d’une source voisine au-dessus de laquelle une sorte de brouillard s’élevait dans le vallon ; ils se détournèrent du chemin pour gagner cette place, s’y assirent et déclarèrent qu’ils ne marcheraient plus. Xénophon, dès qu’il en fut instruit à l’arrière-garde qu’il commandait, y alla, les supplia, les conjura de toutes manières de ne pas rester en arrière, leur disant qu’un gros corps d’ennemis suivait les Grecs. Il finit par se fâcher aussi inutilement ; les traîneurs lui répondirent qu’il n’avait qu’à les égorger s’il voulait, mais qu’ils ne pouvaient faire un pas. On jugea que le meilleur parti à prendre était d’inspirer, s’il était possible, une telle terreur aux ennemis, qu’ils ne revinssent pas attaquer ces infortunés. Il faisait une nuit très noire ; les Barbares s’avançaient avec un grand bruit et se disputaient entre eux ce qu’ils avaient pillé. L’arrière-garde, qui était en bon état s’étant relevée, courut sur eux. Les traîneurs jetèrent les plus grands cris qu’ils purent, et frappèrent de leurs piques sur leurs boucliers. Les ennemis effrayés fuirent à travers la neige au fond du vallon, et on ne les entendit plus.

Xénophon et les troupes qu’il commandait promirent aux traîneurs qu’il leur viendrait le lendemain du secours, puis continuèrent leur marche. Ils n’avaient pas fait quatre stades qu’ils trouvent la colonne se reposant sur la neige et les soldats couverts de leurs manteaux : on n’avait point placé de gardes. Xénophon fit relever les troupes ; elles dirent que ce qui était en avant faisait halte. Xénophon avança lui-même, et envoya devant lui les plus vigoureux des armés à la légère avec ordre d’examiner ce qui arrêtait la marche ; ils lui rapportèrent que toute l’armée se reposait de même que l’arrière-garde. Le corps de Xénophon resta ainsi au bivouac sans allumer de feu, sans souper. On posa des gardes le mieux que l’on put. Un peu en avant le point du jour ce général envoya les plus jeunes soldats aux traîneurs, avec ordre de les faire lever et avancer. Au même moment des Grecs, qui avaient cantonné dans le village, furent envoyés par Chirisophe pour s’informer des nouvelles de l’arrière-garde. On les vit arriver avec plaisir ; et on les chargea de porter au cantonnement les traîneurs trop las ou trop malades pour suivre. On se remit en marche, et on n’avait pas fait vingt stades qu’on entra dans le village où cantonnait Chirisophe. L’armée s’étant ainsi réunie, on jugea qu’il n’y avait point de danger à la disperser par divisions dans plusieurs cantonnemens : Chirisophe resta dans le sien. Les autres généraux ayant tiré au sort les villages qu’on découvrait, marchèrent avec leurs divisions aux lieux qui leur étaient échus.

Polycrate Athénien, chef de lochos, demanda qu’il lui fût permis de devancer la troupe. Il choisit des soldats agiles, court au village que le sort avait destiné à Xénophon, y surprend tous les paysans, le magistrat, dix-sept poulains qu’on élevait pour le tribut dû au roi, et la fille du magistrat, mariée depuis huit