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XÉNOPHON, LIV. VI.

de pierres ; mais le côté du mont qui borde le rivage, dans l’espace de plus de vingt stades, offre une forêt touffue d’arbres de toute espèce et fort élevés. Le reste du pays est beau, d’une vaste étendue, et couvert d’un grand nombre de villages qui sont très peuplés ; car le sol y rapporte de l’orge, du froment, toutes sortes de légumes, du panis, du sésame, et quantité de figues ; beaucoup de vignes y donnent d’excellens vins ; enfin il y croît des plantes de toute espèce, si ce n’est des oliviers. Tels étaient les environs de Calpé.

Les soldats se baraquèrent le long de la côte, loin de vouloir aborder un lieu propre a fonder une ville. Ils craignaient même de n’être venus où ils se trouvaient, que par les mauvais desseins de ceux qui projetaient de fonder une ville ; car ce n’était point la misère qui avait engagé la plupart des soldats à venir recevoir la paie de Cyrus, mais l’opinion que d’après la renommée ils avaient conçue de la générosité de ce prince. Les uns avaient entraîné à leur suite des dissipateurs ruinés ; d’autres s’étaient dérobés à leurs pères et à leurs mères. Il y en avait qui avaient abandonné leurs enfans avec le projet de revenir un jour au sein de leurs familles et d’y rapporter les richesses qu’ils auraient acquises ; car ils avaient entendu dire que d’autres étrangers faisaient fortune à la suite de Cyrus. Des hommes animés par de tels motifs désiraient donc tous de revoir leur patrie et d’y arriver sains et saufs.

Le lendemain de la réunion de tous les Grecs, dès que le jour parut, Xénophon immola des victimes aux Dieux pour savoir s’il ferait sortir l’armée du camp. Il était nécessaire d’aller chercher des vivres, et ce général projetait aussi de donner la sépulture aux morts. Les entrailles ayant été favorables, les Arcadiens mêmes le suivirent et enterrèrent la plupart de leurs compatriotes chacun à la place où il avait été tué ; car leurs cadavres y étaient restés depuis cinq jours, et il n’était plus possible de les transporter. Il y eut des morts qu’on apporta de différens chemins pour les entasser. Ceux-ci reçurent tous les honneurs qu’on put leur rendre dans les circonstances où l’on était. On éleva un vaste cénotaphe et un grand bûcher, qu’on couvrit de couronnes, à ceux dont on ne trouva point les corps. Après avoir rendu ces derniers devoirs à leurs compagnons, les soldats revinrent au camp et se couchèrent lorsqu’ils eurent soupé. Le lendemain ils s’assemblèrent tous ; les principaux instigateurs de cette assemblée étaient Agasias de Stymphale, chef de lochos, Hiéronyme d’Élide, qui avait le même grade, et les plus âgés des Arcadiens. On fit une loi qui défendait, sous peine de mort, à qui que ce fût de proposer dorénavant que l’armée se séparât ; on arrêta aussi que chacun y reprendrait la place qu’il avait precédemment occupée, et que le commandement en serait rendu aux anciens généraux. Chirisophe, l’un d’eux, venait de mourir de l’effet d’un remède qu’on lui avait administré pendant la fièvre. Néon d’Asinée l’avait remplacé.

Xénophon se leva ensuite, et parla en ces termes : « Soldats, c’est par terre certainement, comme vous le pouvez juger vous-mêmes, qu’il faut conduire l’armée, car nous n’avons point de bâtimens. Il est même nécessaire de partir au plus tôt, puisque les vivres nous manquent. Nous autres, généraux, nous allons sacrifier ; préparez-vous de votre côté à combattre plus vigoureusement que jamais, car l’ennemi a repris courage. » Les généraux firent ensuite leur sacrifice ; le devin qui y assistait, était Arexion, Arcadien ; car Silanus, d’Ambracie, avait affrété