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XÉNOPHON, LIV. VI.

j’ai été la cause du moindre de ces événemens. Oui, si, par mon exemple, j’ai excité un seul Grec à jeter des pierres, ou à commettre quelque autre violence, je me condamne moi-même ; j’ai mérité une peine capitale, et je cours me présenter pour la subir ; j’ajoute que quiconque sera accusé par Agasias, doit se remettre de même entre les mains et au jugement de Cléandre ; c’est le moyen de vous laver tous des torts qu’on vous impute : certes, il serait fâcheux que, dans les circonstances où nous nous trouvons, croyant obtenir en Grèce quelques honneurs et y recueillir des louanges, nous n’y fussions pas même traités comme le reste de nos compatriotes, et que l’on nous exclût de toutes les villes grecques. »

Agasias se leva ensuite et dit : « Grecs, j’en jure par tous les Immortels ! je n’ai reçu ni de Xénophon, ni d’aucun de vous, le conseil d’enlever l’homme arrêté ; mais j’ai trouvé cruel de me voir arracher un brave soldat par Dexippe, que vous savez qui vous a tous trahis ; je l’ai tiré de ses mains, j’en conviens ; ne me livrez pas à Cléandre, j’irai moi-même, comme le propose Xénophon, me remettre en son pouvoir, pour qu’il me juge, et qu’il ordonne ensuite de moi ce qu’il lui plaira ; que cet événement ne soit pas la cause d’une guerre entre vous et les Lacédémoniens ; mais que chacun de mes camarades ait la liberté de se retirer où il lui conviendra, sans craindre d’être inquiété. Élisez des députés, envoyez-les avec moi à Cléandre, ils diront et feront pour moi ce que je pourrais omettre. » L’armée permit à Agasias de désigner lui-même ceux par qui il préférerait d’être accompagné : il choisit les généraux ; ils allèrent donc trouver Cléandre avec Agasias et avec l’homme que ce chef de lochos avait arraché à Dexippe. Les généraux parlèrent en ces termes :

« L’armée nous a envoyés vers vous, Cléandre ; si vous l’accusez tout entière, elle vous permet de la juger et d’en ordonner ce que vous voudrez ; s’il n’y a qu’un des Grecs, ou deux, ou un plus grand nombre qui vous soient suspects, son intention est qu’ils viennent eux-mêmes aux pieds de votre tribunal. Est-ce à l’un de nous que vous imputez des torts ? vous nous voyez comparaître. Serait-ce à un autre ? désignez-le. Aucun des Grecs qui voudront nous obéir, ne se soustraira à votre justice. » Agasias, s’approchant ensuite, dit : « C’est moi, Cléandre, qui ai enlevé ce soldat à Dexippe qui le conduisait ; c’est moi qui ai dit aux Grecs de frapper ce même Dexippe. Je connaissais mon soldat pour un homme valeureux, et je savais que Dexippe avait été choisi par l’armée pour monter un navire de cinquante rames, que nous avions emprunté aux habitans de Trébizonde. Je me souvenais qu’au lieu de s’en servir à nous amener des bâtimens pour notre retour, comme il lui était ordonné, il s’était enfui, et avait trahi les compagnons avec lesquels il avait échappé à tant de dangers. Par lui, les habitans de Trébizonde ont perdu leur navire, et notre réputation en a souffert auprès d’eux. Il a, autant qu’il était en lui, machiné la perte de tous tant que nous sommes ; car il avait entendu dire, comme nous, qu’il nous était impossible de retourner par terre dans la Grèce, et de traverser les fleuves qui nous en séparaient. Tel est l’homme à qui j’ai arraché mon soldat. S’il eût été conduit par vous ou par quelqu’un à qui vous en eussiez donné l’ordre, et non par un déserteur de