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XÉNOPHON, LIV. VII.

On entra pour souper ; les convives étaient les premiers des Thraces qui se trouvaient auprès de Seuthès, les généraux et les chefs de lochos grecs et quelques députés de villes. Ils s’assirent tous en cercle ; on apporta ensuite pour eux tous environ vingt trépieds pleins de viandes coupées en morceaux ; de grands pains étaient attachés à ces viandes ; on avait toujours soin de placer les mets de préférence devant les étrangers, car tel était l’usage. Seuthès servit le premier ; voici comment. Il prit les pains qui étaient près de lui, les rompit en morceaux assez petits et les jeta aux convives qu’il voulut ; il en usa de même pour les viandes, et il ne s’en réserva à lui-même que pour en goûter. Tous ceux qui avaient des mets devant eux imitèrent Seuthès. Il y avait un certain Arcadien nommé Ariste, très grand mangeur ; il ne s’embarrassa pas de servir, prit dans sa main un fort gros pain, mit de la viande sur ses genoux et soupa ainsi. On portait tout autour des convives des cornes pleines de vin, qu’aucun d’eux ne refusait. Quand l’échanson qui les apportait fut près d’Ariste, ce Grec apercevant Xénophon qui ne mangeait plus, dit à l’échanson : « Donne à ce général ; il a déjà du temps de reste, et je suis occupé. » Seuthès entendit la voix d’Ariste, et pour savoir ce qu’il disait le demanda à l’échanson ; celui-ci, qui savait le grec, expliqua le propos, et tout le monde se mit rire.

Comme on continuait à boire, un Thrace entra, menant en main un cheval blanc. Il prit une corne pleine de vin et dit : « Je bois à vôtre santé, Seuthès, et vous fais ce présent. Monté sur ce cheval, vous pourrez poursuivre l’ennemi que vous voudrez et serez sûr de le joindre ; vous pourrez le fuir, et n’en aurez rien à craindre. » Un autre conduisait un jeune esclave, et le donna de même à Seuthès en buvant à sa santé ; un troisième lui offrit des vêtemens pour son épouse. Timasion but aussi à la santé de Seuthès en lui présentant une coupe d’argent et un tapis qui valait dix mines. Un certain Athénien, nommé Gnésippe, se leva et dit que c’était un ancien et très bel usage que ceux qui étaient riches fissent des présens au roi en signe de respect, mais que le roi donnât à ceux qui n’avaient rien. « C’est le moyen, dit-il, que je vous offre des dons dans la suite, et vous prouve ma vénération comme les autres. » Xénophon ne savait comment se conduire, d’autant qu’il se trouvait assis sur le siége le plus près de Seuthès, où on l’avait placé par honneur. Héraclide ordonna à l’échanson de lui présenter la corne ; Xénophon, qui se sentait déjà un peu échauffé du vin qu’il avait bu, se leva avec plus de hardiesse, prit la corne et dit : « Pour moi, Seuthès, je me donne à vous moi-même et tous mes compagnons, vous aurez en nous des amis fidèles ; aucun ne vous sert avec répugnance ; tous désirent au contraire de mériter encore plus que moi vos bonnes grâces. Vous les voyez à votre armée, non qu’ils aient rien à vous demander ; ils ne brûlent que d’essuyer des fatigues et de s’exposer à des dangers pour vous ; avec eux, s’il plaît aux Dieux, vous rentrerez dans les vastes possessions dont jouissaient vos ancêtres et vous y ajouterez de nouvelles conquêtes. Beaucoup de chevaux, nombre d’esclaves, des femmes charmantes vous appartiendront, et ce ne seront plus des fruits du pillage, mais des présens que vous offriront volontairement vos sujets. » Seuthès se leva, but avec Xénophon, et versa le reste du vin sur le convive qui était de l’autre côté près de lui. Des Cérasuntiens entrèrent ensuite ; ces Barbares jouent de la