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vela la ruse de Philippe à Chéronée, et parut céder au nombre. Les Perses, pleins de confiance dans un pareil succès, ne songèrent qu’à poursuivre les fuyards, et s’avancèrent en désordre comme à une victoire qu’on ne pouvait plus leur contester. Mais tout-à-coup les Thessaliens firent volte-face, et recommencèrent la charge avec tout l’avantage d’une troupe qui n’a pas rompu ses rangs. Les Perses combattirent courageusement, et ils ne cédèrent qu’en voyant Darius en fuite et ses Grecs taillés en pièces par la phalange macédonienne.

La cavalerie persane eut beaucoup à souffrir dans sa fuite, et de l’embarras de son armure pesante, et de la difficulté des passages où les escadrons s’écrasaient entassés dans les défilés. Les Thessaliens les chargèrent vigoureusement ; le carnage de ces troupes ne fut pas moindre que celui de l’infanterie. Les Perses perdirent plus de cent mille hommes, et Darius fut sur le point d’être pris. Sa mère, sa femme et ses enfans tombèrent entre les mains du vainqueur.

Alexandre ne tarda pas à se remettre en marche, en laissant son ennemi fuir au-delà de l’Euphrate. L’éclat de sa dernière victoire avait répandu la terreur de tous côtés, et nulle part il ne rencontrait de résistance. La seule ville de Tyr refusa de se soumettre au pouvoir des Macédoniens. Tyr, séparée du continent par un bras de mer, était défendue par des murs d’une hauteur prodigieuse. Les avantages de sa situation, l’étendue de ses ports, et l’industrie de ses habitans, en faisaient l’entrepôt de l’univers.

Presque tous les écrivains accusent Alexandre d’avoir manqué aux règles de la guerre après la bataille d’Issus, lorsqu’il s’arrête au siége d’une ville dont la prise était incertaine, au lieu de poursuivre son ennemi sans relâche, afin de lui ôter les moyens de mettre sur pied une nouvelle armée. Mais Alexandre avait appris de Philippe le secret des grandes opérations militaires, et ce que les historiens nous représentent comme un sujet de blâme, paraît bien plutôt digne de toute notre admiration.

De quelque impéritie qu’on accuse en effet les généraux de Darius, et si habile au contraire que l’on suppose Alexandre dans la science de la tactique, on ne peut admettre que ce héros eût conquis l’Asie avec trente-cinq mille hommes, s’il n’avait arrêté un plan général d’invasion mesuré sur l’étendue de son génie, et dont il eut la sagesse de ne se départir jamais.

Ce plan stratégique commence à se développer après le passage de l’Hellespont ; et l’on voit Alexandre s’occuper de la conquête de toutes les villes maritimes des côtes de l’Asie et de l’Égypte, afin d’ôter aux Perses le pouvoir d’équiper une flotte dans la Méditerranée. D’ailleurs Alexandre doit tirer des secours de la Grèce pour subvenir aux besoins de ses troupes, et il assure ainsi ses communications.

Il bat les Perses au passage du Granique ; mais au lieu de les poursuivre et de se laisser emporter par son courage comme aurait pu faire un jeune conquérant tel qu’on nous montre faussement Alexandre, ce prince réprime l’ardeur des Macédoniens, et continue de soumettre les places maritimes, en marchant des plus proches aux plus éloignées.

L’armée navale des Perses se retire de Milet sans rien faire : aussitôt le prince prend la résolution de rompre sa flotte, malgré l’avis de ses généraux, malgré les instances de Parménion lui-même dont le caractère était plutôt temporiseur, et qui dans cette circonstance demandait à combattre. Mais Alexandre